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XXX
ÉMILE NELLIGAN

mait aux finesses et aux malices de la critique d’art : Jean Charbonneau, qui avait déjà à son actif quatre ou cinq drames en vers ; Germain Beaulieu, tourné maintenant à l’économie politique et à la philanthropie ; Paul de Martigny, un être étincelant d’esprit, devenu l’un des fondateurs des premiers Débats : Albert Laberge, âme pétrie de mysticisme, condamné, hélas ! à chanter dans la Presse les idylles de la boxe et les épopées du football ; E.-Z. Massicotte, resté, lui fidèle aux muses d’antan ; Henry Desjardins, qui depuis… mais les notaires m’en garderaient rancune.

Plus tard, le cercle s’élargissant, le salon des de Montigny fut trop étroit. Alors, le vieux recorder, qui eut toujours pour l’art de paternelles faiblesses, prêtait à nos jeunes « escholiers » la clef du vénérable tribunal où il jugeait chaque matin les escarpes et les soûlots. Le soir venu, les drames de la vie réelle faisaient place aux pacifiques assises de l’Idée ; les rimes voletaient dans la salle où avaient retenti les objurgations et les amendes ; et, sur le siège du magistrat, la Poésie trônait, en gilet et en toque, dans la personne de Charles Gill.

Car des recrues nouvelles avaient grossi la sainte phalange, et à leur tête Gill, le peintre-poète, que son talent si délicat et si ferme avait porté au rang d’honneur. Il présidait d’ailleurs, comme lui-même l’a écrit, « une école sans maître, où nul n’avait le droit d’élever la voix plus haut que son voisin, » et d’où la jalousie et l’adulation étaient également exclues.

C’étaient encore Albert Ferland, un lamartiniste ému et tendre ; — Arthur de Bussière, rimeur habile épris d’exotisme et de coloris ; — Albert Lozeau, dont l’âme gardait, dans un corps anémié, un souffle si jeune et si vivace ; — Pierre Bédard, moins poète que prosateur, mais sachant loger dans sa prose une poésie discrète ; — Dumont, que des goûts sérieux poussaient vers la philosophie et l’histoire ; — Demers, un dramaturge en herbe, qui osait, après Racine, dialoguer les fureurs de Néron ; — Antonio Pelletier, d’autres peut-être, — tous avec leurs préférences littéraires, leur genre et leur style distincts, mais unis dans la poursuite désintéressée et sincère de la Beauté parlant français.

Plus tard encore, l’École crut augmenter son influence en s’adjoignant d’autres écrivains plus mûris et plus connus. Elle offrit sa