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XXXIV
ÉMILE NELLIGAN

Sans doute, dans ce qui reste on trouverait encore des perles. Tel sonnet que j’ai négligé s’ouvre sur un délicieux quatrain, et de tel autre on redirait :

La chûte en est jolie, etc.

Mais l’ensemble m’a paru inférieur, et, pas plus qu’un potage, un sonnet manqué ne se rachète par les circonstances atténuantes.

Si quelqu’un, malgré tout, regrettait les « œuvres complètes », je lui demanderais ce que les vers suivants, par exemple, peuvent bien ajouter à une réputation d’artiste :

    Refoulons la sente
    Presque renaissante
À notre ombre passante.

    Confabulons là
    Avec tout cela
Qui fut de la villa.

    Parmi les voix tues
    Des vieilles statues
Çà et là abattues.

    Dans le parc défunt
    Où rode un parfum
De soir blanc en soir brun, etc.

Il est évident qu’en donnant l’oubli à de telles strophes, on leur octroie ce qu’elles méritent. Ces remarques justifient, ce me semble, la composition de ce volume, et elles expliquent aussi certaines critiques de ma préface, qui, à en juger par les seuls vers publiés ici, pourraient paraître peu méritées.

Je dois, pour finir, des excuses à une institution que j’ai crue morte, et qui vit. L’École Littéraire s’est émue du permis d’enterrer que je lui décernais prématurément. Elle a protesté, comme c’était son droit. « Je proteste, donc je suis. » J’ai la joie de reconnaître que cette œuvre, chère à Nelligan, lui a survécu, et qu’elle poursuit, avec la même sincérité que jadis, son travail de culture et d’affinement intellectuel parmi notre jeunesse. Les regrets que j’exprimais à son sujet n’ont donc qu’à se changer en félicitations, et si j’ai laissé subsister plus haut mes appréciations premières, c’est pour me donner le franc plaisir de les rétracter ici.

L. D.