Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/131

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corde au fou la candeur d’âme qu’elle refuse au sage, puisque celui-ci ne consent pas à avoir d’égaux. C’est du moins en ce sens que j’interprète ce passage : Le fou, parce qu’il l’est, croit que tous ceux qu’il rencontre sur sa route sont fous comme lui. Quelle modestie, de voir des égaux dans tous les hommes, et de reconnaître chez eux, malgré l’amour-propre naturel à chaque individu, le même mérite qu’on a en soi !

Tout grand roi qu’était Salomon, il n’a pas rougi de dire : « Je suis le plus fou des hommes. » Et saint Paul, l’apôtre des gentils, dans son Épître aux Corinthiens, s’adjuge la même qualité : « Je parle comme un fou, dit-il, et le suis plus qu’un autre. » Il se fait évidemment un point d’honneur de n’avoir pas son égal en folie !

J’entends d’ici murmurer contre moi un tas d’hellénistes pédants qui voudraient étouffer les lumières éclatantes des théologiens sous les obscurités de leurs commentaires. Érasme, que je nomme souvent, parce que je l’estime tout particulièrement, me paraît être le lieutenant de la bande, sinon le capitaine. — Extravagante citation, ne manqueront-ils pas de s’écrier, elle est bien digne de la Folie ! L’apôtre n’a jamais pensé un mot de ce que vous rêvez sous son nom. Jamais il n’a entendu dire qu’il se considérait comme plus fou que les autres. Ils sont ministres du Christ et moi aussi, dit-il d’abord ; puis il ajoute à l’insuffisance de l’expression : « Même je le suis plus qu’eux, » comme ayant conscience non-seulement d’être égal, mais même supé-