mène à l’enfance le vieillard penché vers la tombe : de là, cette habitude populaire de les appeler vieux enfants. Je ne fais pas mystère de ma manière d’opérer, je conduis simplement mes gens à la source du Léthé, aux Îles Fortunées (car il n’y a aux Enfers qu’un petit bras de ce fleuve), et là je leur fais boire à longs traits l’eau d’oubli, qui dissipe leurs soucis et leur donne une nouvelle enfance. Mais on m’objectera qu’après cela ils divaguent et battent la campagne. Par Hercule ! je le sais bien ! — Mais c’est par là qu’ils reviennent à l’enfance ; le propre de cet âge n’étant autre que de divaguer et battre la campagne ; et la Folie, nous l’avons montré, en constitue le plus bel ornement ! La sagesse de l’âge mûr se greffant sur l’enfance produit un monstre, et le proverbe latin a raison de dire : « Je n’aime pas qu’un enfant soit un homme. »
Je ne sais rien de fatigant comme le commerce et la société d’un vieillard, qui avec son expérience de toutes choses, a conservé la vigueur de son intelligence et la netteté de son jugement. Il y a donc bienfait de ma part à faire radoter la vieillesse. Je la mets d’ailleurs par ce moyen à l’abri des tourments que le sage même ne peut éviter, ce qui ne l’empêche pas cependant de fêter la dive bouteille. À l’abri désormais du dégoût de la vie, que l’âge le plus vigoureux supporte à grand’peine, le vieillard en revient même parfois à épeler le mot aimer, comme le barbon de Plaute ; trop heureux alors de n’avoir plus son bon sens ! En somme, grâce à moi, la vieillesse est exempte de chagrins, agréable