Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/44

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cours. Il est vrai que Fabius regarde cette timidité comme la marque d’un orateur intelligent et qui connaît le danger. Mais parler ainsi n’est-ce pas précisément reconnaître que la sagesse est un obstacle à bien faire ? Que serait-il advenu de ces philosophes, s’il eût fallu qu’ils s’escrimassent pour tout de bon avec le fer, eux qui s’évanouissaient déjà de peur à l’idée de se battre à coups de langue ? Malgré ce, Dieu sait comme on fait sonner le mot célèbre de Platon : Heureux seraient les peuples si les rois étaient philosophes, ou si les philosophes étaient rois ! Interrogez l’histoire, vous resterez convaincus que les États pâtirent toutes les fois que le pouvoir a été entre les mains d’un philosophe ou d’un homme de lettres. L’exemple des deux Caton, si je ne me trompe, est bien suffisant pour le prouver. L’un troubla la République par ses accusations inopportunes, l’autre précipita la ruine de la liberté en mettant trop de zèle à la défendre. Il en a été ainsi des Brutus, des Cassius, des Gracques et de Cicéron lui-même, qui ne fut pas moins funeste à Rome que Démosthène ne l’avait été à Athènes. J’admets, pour un instant, qu’Antonin fut un bon empereur, bien qu’on pourrait le contester, puisque son titre de sage l’avait rendu insupportable et odieux aux citoyens ; mais tout en le tenant pour bon, on ne peut mettre en balance les avantages de son règne avec les maux qu’il a causés, en laissant un fils comme Commode. D’ailleurs, si tous ceux qui s’adonnent à la philosophie réussissent peu aux choses du monde, il est notoire qu’ils échouent