Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/89

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Je parlerai d’abord des pédants qui enseignent la grammaire. De tous les hommes, ce serait sans contredit la classe la plus chétive, la plus à plaindre et la plus disgraciée des dieux, si je ne venais mitiger les misères de leur triste profession par des accès d’une agréable folie. Ce ne sont pas seulement cinq furies, selon le proverbe grec, mais bien mille qui les poursuivent. Toujours affamés, toujours dans la poussière de leurs écoles, que dis-je, de leurs prisons ou mieux encore de leurs étables, ces pauvres sires vieillissent avant l’âge, au milieu d’un troupeau d’enfants, assourdis par leurs cris et asphyxiés par leurs exhalaisons. Ce qui ne les empêche pas, grâce à moi, de s’estimer les premiers des hommes. Il fait beau les voir s’admirer de bonne foi ; lorsque d’un mot, d’un regard, ils font trembler leurs marmots éperdus, qu’ils les déchirent à coups de verges et de férules, et les punissent en vrais despotes à tort et à travers. Involontairement on pense à l’âne revêtu de la peau du lion. Écoutez-les ; leur crasse est la suprême élégance ; les senteurs de leur chenil ne sont que musc et ambre, leur misérable esclavage une royauté qu’ils ne voudraient pas troquer contre celle de Phalaris ou de Denys le Tyran. Leur bonheur atteint son apogée, lorsqu’ils croient avoir trouvé un nouveau mode d’enseignement. Ce qu’ils enseignent alors n’est plus qu’impertinence toute pure ; qu’importe s’ils ne s’en croient pas moins supérieurs à tous les Palémon et les Donat. Ce qu’il y a de plus remarquable chez eux, c’est leur talent de fasciner les mamans