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200 DEPUIS L’EXIL. — PARIS. — 1873.

pu être heureux quelque temps sans remords. Alors la maladie l’a saisi, et l’a cloué dans son lit pendant un an avant de le clouer pour toujours dans le cercueil. «Son frère est mort foudroyé ; lui, il a expiré lentement. La mort a plusieurs façons de frapper les pères. Pendant plus d’un an , son lit a été sa première tombe, la tombe d’un vivant, car il a eu, jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure, toute sa lucidité d’esprit. Il s’intéressait à tout, lisait les journaux ; seulement, il lui était impossible d’écrire une ligne ; son intelligence si droite, sa raison si ferme, ses longues études d’histoire, son talent si sérieux et si fort, à quoi bon maintenant ? Ce supplice de l’impuissance intelligente , de la volonté prisonnière , de la vie dans la mort, il l’a subi seize mois. Et puis, une pulmonie s’est déclarée et l’a emporté dans l’inconnu.

«La mort, soit. Mais cette longue agonie, pourquoi ? Un jour, il était mieux, et nous le croyions déjà guéri ; puis il retombait, pour remonter, et pour retomber encore. Pourquoi ces sursis successifs , puisqu’il était condamné à mort ? Pourquoi la destinée , puisqu’elle avait décidé de le tuer, n’en-a-t-elle pas fini tout de suite , et qui donc prend plaisir à prolonger ainsi notre exécution , et à nous faire mourir tant de fois ?

«Pauvre cher Victor ! que j’ai vu si enfant, et que j’allais chercher, le dimanche, à sa pension !

«Et son père ! Ses ennemis eux-mêmes diront que c’est trop. D’abord, c’a été sa fille, — et toi, mon Charles ! Puis, il y a deux ans, c’a été son fils aîné. Et maintenant, c’est le dernier. Quel bonheur pour leur mère d’être morte ! C’est là que les génies ne sont plus que des pères. Tous s’en sont allés, l’un après l’autre, le laissant seul. Lui si père ! Oh ! ses chers petits enfants des Feuilles d’automne ! On lui dira qu’il a d’autres enfants , nous tous , ses fils intellectuels , tous ceux qui sont nés de lui, et tous ceux qui en naîtront, et que ceux-là ne lui manqueront ni aujourd’hui, ni demain , ni jamais , et que la mort aura beau faire , ils seront plus nombreux d’âge en âge. D’autres lui diront cela ; mais moi, j’étais le frère de celui qui est mort, et je ne puis que pleurer.

«Auguste Vacqijerie. »

OBSEQUES DE FRANÇOIS-VICTOR HUGO.

Bien avant l’heure indiquée, la foule était déjà telle dans la rue Drouot, qu’il était difficile d’arriver à la maison mortuaire. Un registre ouvert dans une petite cour recevait les noms de ceux qui voulaient témoigner leur douloureuse sympathie au père si cruellement frappé.

Un peu après midi, on a descendu le corps. C’a été une chose bien triste à voir, le père au bas de l’escalier regardant descendre la bière de son dernier fils. Un autre moment navrant , c’a été quand M"° Charles Hugo a passé , prête à s’évanouir à chaque instant et si faible qu’on la portait plus qu’on ne la soutenait. Il y a deux ans, elle enterrait son mari ; hier, son beau-frère. Avec quel tendre dévouement et quelle admirable persévérance elle a soigné ce frère pendant cette longue maladie, passant les nuits, lui sacrifiant tout, ne vivant que pour lui, c’est