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300 DEPUIS L’EXIL. — PARIS. — 1878.

donne le coup de grâce, c’est-à-dire lui écrase la poitrine avec le gros bout de la barre de fer. Ainsi expira Jean Calas. Cela dura deux heures. Après sa mort, l’évidence du suicide apparut. Mais un assassinat avait été commis. Par qui. ? Par les juges. {TJive sensation, applaudissements.) Autre fait. Après le vieillard le jeune homme. Trois ans plus tard, en 1765, à Abbeville, le lendemain d’une nuit d’orage et de grand vent, on ramasse à terre sur le pavé d’un pont un vieux crucifix de bois vermoulu qui depuis trois siècles était scellé au parapet. Qui a jeté bas ce crucifix. ? Qui a commis ce sacrilège . ? On ne sait. Peut-être un passant. Peut-être le vent. Qui est le coupable . ? L’évêque d’Amiens lance un monitoire. Voici ce que c’est qu’un monitoire : c’est un ordre à tous les fidèles, sous peine de l’enfer, de dire ce qu’ils savent ou croient savoir de tel ou tel fait j injonction meurtrière du fanatisme à l’ignorance. Le monitoire de l’évêque d’Amiens opère j le grossissement des commérages prend les proportions de la dénonciation. La justice découvre, ou croit découvrir, que, dans la nuit où le crucifix a été jeté à terre, deux hommes, deux officiers, nommés l’un La Barre, l’autre d’Etallonde, ont passé sur le pont d’ Abbeville, qu’ils éuient ivres, et qu’ils ont chanté une chanson de corps de garde. Le tribunal, c’est la sénéchaussée d’ Abbeville. Les sénéchaux d’Abbeville valent les capitouls de Toulouse. Ils ne sont pas moins justes. On décerne deux mandats d’arrêt. D’Etallonde s’échappe, La Barre est pris. On le livre à l’instruction judiciaire. Il nie avoir passé sur le pont, il avoue avoir chanté la chanson. La sénéchaussée d’Abbeville le condamne j il fait appel au parlement de Paris. On l’amène à Paris, la sentence est trouvée bonne et confirmée. On le ramène à Abbeville, enchaîné. J’abrège. L’heure monstrueuse arrive. On commence par soumettre le chevalier de La Barre à la question ordinaire et extraordinaire pour lui faire avouer ses complices} complices de quoi. ? d’être passé sur un pont et d’avoir chanté une chanson j on lui brise un genou dans la torture j son confesseur, en entendant craquer les os, s’évanouit $ le lendemain, le 5 juin 1766, on traîne La Barre dans la grande place d’Abbeville} là flambe un bûcher ardent j on lit sa sentence à La Barre, puis on lui coupe le poing, puis on lui arrache la langue avec une tenaille de fer, puis, par grâce, on lui tranche la tête, et on le jette dans le bûcher. Ainsi mourut le chevalier de La Barre. Il avait dix-neuf ans. {Longue et profonde sensation. )

Alors, ô Voltaire, tu poussas un cri d’horreur, et ce sera ta gloire éternelle !

{Explosion d’applaudissements.) 

Alors tu commenças l’épouvantable procès du passé, tu plaidas contre les tyrans et les monstres la cause du genre humain, et tu la gagnas. Grand homme, sois à jamais béni ! {Nouveaux applaudissements.)