Page:Œuvres complètes d’Apulée (éd. Garnier), tome 2, 1883.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

semblables, à force de s'en ingérer plusieurs de lui-même, Cratès finit par s'élancer sur la place publique, par jeter tout son patrimoine, comme il eût repoussé une masse de fumier plus fatigante qu'utile. Puis, un cercle s'étant formé autour de lui, il cria de toutes ses forces : « Cratès affranchit Cratès.» A partir de ce jour, non seulement isolé, mais encore nu et libre de tout, il passa le reste de sa vie au sein de la félicité. Il inspira même des passions violentes, à tel point qu'une jeune fille de haute naissance, méprisant tous ceux qui aspiraient à sa main, jeunes comme riches, désira d'elle-même s'unir à lui. Cratès se découvrit le dos, et fit voir qu'il avait une bosse énorme entre les deux épaules ; il posa par terre sa besace, son bâton, son manteau, en déclarant à la jeune fille que c'était là tout son mobilier, et qu'elle avait le personnage sous les yeux : qu'en conséquence elle se consultât sérieusement, pour ne pas être plus tard réduite aux regrets. Hipparque accepta toutes ces conditions, répondant qu'elle avait depuis longtemps assez médité, assez réfléchi ; qu'elle ne saurait trouver nulle part au monde un époux et plus riche et plus beau ; qu'il pouvait donc la conduire où bon lui semblerait. Cratès alors la mena dans le portique. Là, dans l'endroit le plus fréquenté, devant tout le monde, en plein jour, il se coucha à ses côtés ; et Hipparque s'y prêtant avec un cynisme pareil au sien, il l'eût déflorée devant tout le monde, si Zénon n'eût étendu