Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/317

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chose étrange, qu’il n’y a rien dans la nature qui n’ait été capable de lui en tenir la place : astres, ciel, terre, élément, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpens, fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère, inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paroître tel, jusqu’à sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu, à la raison et à la nature tout ensemble.

Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. D’autres, qui en ont en effet plus approché[1], ont considéré qu’il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes désirent, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur, par le manque de la partie qu’il n’a pas, qu’elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devoit être tel, que tous pussent le posséder à la fois, sans diminution et sans envie, et que personne ne pût le perdre contre son gré.

Et leur raison est que ce désir étant naturel à l’homme, puisqu’il est nécessairement dans tous, et qu’il ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent...

Philosophes. — Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au dehors.

Notre instinct nous fait sentir qu’il faut chercher notre bonheur hors de nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s’offriroient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d’eux-mêmes et nous appellent, quand même nous n’y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont beau dire : « Rentrez en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien ; » on ne les croit pas, et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots.

Stoïques. — ... Ils concluent qu’on peut toujours ce qu’on peut quelquefois, et que, puisque le désir de la gloire fait bien faire à ceux qu’il possède quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvemens fiévreux, que la santé ne peut imiter. Épictète conclut de ce qu’il y a des chrétiens constans, que chacun le peut bien être.

Les trois concupiscences ont fait trois sectes, et les philosophes n’ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences.

Nous connoissons la vérité, non-seulement par la raison, mais encore par le cœur ; c’est de cette dernière sorte que nous connoissons les premiers principes, et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaye de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance ne conclut autre chose que la foiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connoissances, comme ils le prétendent. Car la connoissance des premiers principes, comme il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnemens nous donnent. Et c’est sur ces connoissan-

  1. Les stoïciens.