Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il venoit faire paroître. Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandon, dans sa secrète résurrection, et dans le reste ; on la verra si grande, qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas. Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles, comme s’il n’yen avoit pas de spirituelles ; et d’autres qui n’admirent que les spirituelles, comme s’il n’yen avoit pas d’infiniment plus hautes dans la sagesse.

Tous les corps, le firmament, les étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits ; car il connoît tout cela, et soi ; et les corps, rien. Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité ; cela est d’un ordre infiniment plus élevé.

De tous les corps ensemble, on ne sauroit en faire réussir une petite pensée : cela est impossible, et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n’en sauroit tirer un mouvement de vraie charité : cela est impossible, et d’un autre ordre, surnaturel.


2.

… Jésus-Christ dans une obscurité (selon ce que le monde appelle obscurité) telle, que les historiens, n’écrivant que les importantes choses des États, l’ont à peine aperçu.


3.

Quel homme eut jamais plus d’éclat ? Le peuple juif tout entier le prédit, avant sa venue. Le peuple gentil l’adore, après sa venue. Les deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat ? De trente-trois ans, il en vit trente sans paroître. Dans trois ans, il passe pour un imposteur ; les prêtres et les principaux le rejettent ; ses amis et ses plus proches le méprisent. Enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l’autre, et abandonné par tous.

Quelle part a-t-il donc à cet éclat ? Jamais homme n’a eu tant d’éclat ; jamais homme n’a eu plus d’ignominie. Tout cet éclat n’a servi qu’à nous, pour nous le rendre reconnoissable ; et il n’en a rien eu pour lui.


4.

Preuves de Jésus-Christ. — Jésus-Christ a dit les choses grandes si simplement, qu’il semble qu’il ne les a pas pensées ; et si nettement néanmoins, qu’on voit bien ce qu’il en pensoit. Cette clarté, jointe à cette naïveté, est admirable.

Qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ ? Pourquoi le font-ils foible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante ? Oui, sans doute ; car le même saint Luc peint celle de saint Etienne plus forte que celle de Jésus-Christ. Ils le font donc capable de crainte avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé, c’est quand il se trouble lui-même : et quand les hommes le troublent, il est tout fort.

L’Église a eu autant de peine à montrer que Jésus-Christ étoit homme,