Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/379

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9.

Ces filles[1], étonnées de ce qu’on dit, qu’elles sont dans la voie de perdition ; que leurs confesseurs les mènent à Genève ; qu’ils leur inspirent que Jésus-Christ n’est point en l’eucharistie, ni en la droite du Père ; elles savent que tout cela est faux, elles s’offrent donc à Dieu en cet état : Vide si via iniquitatis in me est[2]. Qu’arrive-t-il là-dessus ? Ce lieu, qu’on dit être le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu’il faut en ôter les enfans : Dieu les y guérit[3]. On dit que c’est l’arsenal de l’enfer : Dieu en fait le sanctuaire de ses grâces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les vengeances du ciel ; et Dieu les comble de ses faveurs. Il faudroit avoir perdu le sens pour en conclure qu’elles sont dans la voie de perdition.

Pour affoiblir vos adversaires, vous désarmez toute l’Église.

.... S’ils disent[4] que notre salut dépend de Dieu, ce sont des hérétiques. S’ils disent qu’ils sont soumis au pape, c’est une hypocrisie. Ils sont prêts à souscrire toutes ses constitutions, cela ne suffit pas. S’ils disent qu’il ne faut pas tuer pour une pomme, ils combattent la morale des catholiques. S’il se fait des miracles parmi eux, ce n’est plus une marque de sainteté, et c’est au contraire un soupçon d’hérésie.

... Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles. Ils détruisent la perpétuité par la probabilité[5], la bonne vie par leur morale ; les miracles, en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence.

Si on les croit, l’Église n’aura que faire de perpétuité, sainte vie, miracles. Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence ; eux de même. Mais il faudroit n’avoir point de sincérité pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la conséquence.

... Quoi qu’il en soit, l’Église est sans preuves, s’ils ont raison. L’Église a trois sortes d’ennemis : les juifs, qui n’ont jamais été de son corps ; les hérétiques, qui s’en sont retirés ; et les mauvais chrétiens, qui la déchirent au dedans.

Ces trois sortes de différens adversaires la combattent d’ordinaire diversement.

Mais ici ils la combattent d’une même sorte. Comme ils sont tous sans miracles, et que l’Église a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le même intérêt à les éluder, et se sont tous servis de cette défaite : qu’il ne faut pas juger de la doctrine par les miracles. mais des miracles par la doctrine. Il y avoit deux partis entre ceux qui écoutoient Jésus-Christ : les uns qui suivoient sa doctrine par ses miracles ; les autres qui disoient... Il y avoit deux partis au temps de Calvin. Il y a maintenant les jésuites..., etc.

Ce n’étoit point ici le pays de la vérité : elle erre inconnue parmi les hommes. Dieu l’a couverte d’un voile, qui la laisse méconnoître à ceux

  1. Les religieuses de Port-Royal.
  2. Ps. cxxxviii, 24.
  3. Allusion au miracle de la sainte épine.
  4. Si les jansénistes disent, on les traite d’hérétiques.
  5. Selon Pascal, les jésuites soutenaient qu’une opinion nouvelle, soutenue par un auteur grave, devenait probable.