Je le vis en effet dès le soir même ; mais je n’ose vous le rapporter, car c’est une chose effroyable.
Le bon père continua donc ainsi : « Vous entendez bien maintenant comment on se sert des circonstances favorables ? mais il y en a quelquefois de si précises, qu’on ne peut accorder par là les contradictions : de sorte que ce seroit bien alors que vous croiriez qu’il y en auroit. Par exemple, trois papes ont décidé que les religieux qui sont obligés par un vœu particulier à la vie quadragésimale, n’en sont pas dispensés, encore qu’ils soient faits évêques ; et cependant Diana dit « que, nonobstant leur décision, ils en sont dispensés. » — Et comment accorde-t-il cela ? lui dis-je. — C’est, répliqua le père, par la plus subtile de toutes les nouvelles méthodes, et par le plus fin de la probabilité. Je vas vous l’expliquer. C’est que, comme vous le vîtes l’autre jour, l’affirmative et la négative de la plupart des opinions ont chacune quelque probabilité, au jugement de nos docteurs, et assez pour être suivies avec sûreté de conscience. Ce n’est pas que le pour et le contre soient ensemble véritables dans le même sens, cela est impossible ; mais c’est seulement qu’ils sont ensemble probables, et sûrs par conséquent.
« Sur ce principe, Diana notre bon ami parle ainsi en la partie V (tr. XIII, r. 39) : « Je réponds à la décision de ces trois papes, qui est contraire à mon opinion, qu’ils ont parlé de la sorte en s’attachant à l’affirmative, laquelle en effet est probable, à mon jugement même : mais il ne s’ensuit pas de là que la négative n’ait aussi sa probabilité. » Et dans le même traité (r. 65), sur un autre sujet, dans lequel il est encore d’un sentiment contraire à un pape, il parle ainsi : « Que le pape l’ait dit comme chef de l’Église, je le veux ; mais il ne l’a fait que dans l’étendue de la sphère de probabilité de son sentiment. » Or, vous voyez bien que ce n’est pas là blesser les sentimens des papes : on ne le souffriroit pas à Rome, où Diana est en un si grand crédit ; car il ne dit pas que ce que les papes ont décidé ne soit pas probable ; mais, en laissant leur opinion dans toute la sphère de probabilité, il ne laisse pas de dire que le contraire est aussi probable. — Cela est très-respectueux, lui dis-je. — Et cela est plus subtil, ajouta-t-il, que la réponse que fit le P. Bauny quand on eut censuré ses livres à Rome ; car il lui échappa d’écrire contre M. Hallier, qui le persécutoit alors furieusement : « Qu’a de commun la censure de Rome avec celle de France ? » Vous voyez assez par là que, soit par l’interprétation des termes, soit par la remarque des circonstances favorables, soit enfin par la double probabilité du pour et du contre, on accorde toujours ces contradictions prétendues, qui vous étonnoient auparavant, sans jamais blesser les décisions de l’Écriture, des conciles ou des papes, comme vous le voyez. — Mon révérend père, lui dis-je, que le monde est heureux de vous avoir pour maîtres ! Que ces probabilités sont utiles ! Je ne savois pourquoi vous aviez pris tant de soin d’établir qu’un seul docteur, s’il est grave, peut rendre une opinion probable, que le contraire peut l’être aussi, et qu’alors on peut choisir du pour et du contre celui qui agrée le plus, encore qu’on ne le croie pas véritable, et avec tant de sûreté de conscience, qu’un confesseur qui refuseroit de donner l’abso-