Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol2.djvu/118

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que la nature créée ait avec son Créateur, et encore que les moindres choses et les plus petites et les plus viles parties du monde représentent au moins par leur unité la parfaite unité qui ne se trouve qu’en Dieu, on ne peut pas légitimement leur porter le souverain respect, parce qu’ n’y a rien de si abominable aux yeux de Dieu et des hommes que l’idolatrie, à cause qu’on y rend à la créature l’honneur qui n’est dû qu’au Créateur. L’Écriture est pleine des vengeances que Dieu a exercées sur ceux qui en ont été coupables, et le premier commandement du Décalogue, qui enferme tous les autres, défend sur toutes choses d’adorer ses images. Mais comme il est beaucoup plus jaloux de nos affections que de nos respects, il est visible qu’il n’y a point de crime qui lui soit plus injurieux ni plus détestable que d’aimer souverainement les créatures. quoiqu’elles le représentent.

C’est pourquoi ceux à qui Dieu fait connoître ces grandes vérités doivent user de ces images pour jouir de celui qu’elles représentent, et ne demeurer pas éternellement dans cet aveuglement charnel et judaïque qui fait prendre la figure pour la réalité. Et ceux que Dieu, par la régénération, a retirés gratuitement du péché (qui est le véritable néantl parce qu’il est contraire à Dieu, qui est le véritable être) pour leur don nerune place dans son Eglise qui est son véritable temple, après le avoir retirés gratuitement du néant au point de leur création, pour leu donner une place dans l’univers, ont une double obligation de le servi et de l’honorer, puisque en tant que créatures ils doivent se tenir dans l’ordre des créatures et ne pas profaner le lieu qu’ils remplissent, et qu’en tant que chrétiens, ils doivent sans cesse aspirer à se rendre dignes de faire partie du corps de Jésus-Christ. Mais qu’au lieu que les créatures qui composent le monde s’acquittent de leur obligation en se tenant dans une perfection bornée, parce que la perfection du monde est aussi bornée, les enfans de Dieu ne doivent point mettre de limite à leur pureté et à leur perfection, parce qu’ils font partie d’un corps tout divin et infiniment parfait ; comme on voit que Jésus-Christ ne limite point le commandement de la perfection, et qu’il nous en propose un modèle où elle se trouve infinie, quand il dit : « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Aussi c’est une erreur bien préjudiciable et bien ordinaire parmi les chrétiens et parmi ceux-là même qui font profession de piété, de se persuader qu’il y ait un certain degré de perfection dans lequel on soit en assurance et qu’il ne soit pas nécessaire de passer, puisqu’il n’yen a point qui ne soit mauvais si on s’y arrête, et dont on puisse éviter de tomber qu’en montant plus haut.


V. Lettre de Pascal et de sa sœur Jacqueline
à Mme Périer, Leur sœur.


A Paris, ce 5 novembre, après-midi, 1648.
Ma chère sœur,

Ta lettre nous a fait ressouvenir d’une brouillerie dont on avoit perdu la mémoire, tant elle est absolument passée. Les éclaircissemens un peu trop grands que nous avons procurés ont fait paroître le sujet général et