Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol2.djvu/98

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que la charité qu’elle leur porte. Ainsi elle n’a pas seulement eu un soin particulier de s’opposer aux erreurs présentes, et de prévenir celles qui n’ont jamais paru, quand l’occasion s’en est offerte, mais encore de condamner les erreurs déjà étouffées, pour les empêcher de renaître un jour de nouveau.

Les conciles en fournissent des exemples de toutes les sortes. On voit que celui de Trente condamne cette opinion, que « les justes aient le pouvoir de persévérer sans la grâce, » quoique les luthériens, qui étoient les seuls ennemis vivans qu’il attaquoit, fussent bien éloignés d’être dans ce sentiment, qui est purement pélagien. Et cependant on ressent aujourd’hui l’effet d’une décision si peu nécessaire alors en apparence, et maintenant si utile.

C’est ainsi que le concile d’Orange condamne ceux qui oseroient dire que Dieu prédestine les hommes aux mauvaises actions, quoiqu’il témoigne par ses paroles qu’il ne sait pas que jamais cette erreur ait été avancée (Conc. Araul. II, can. 25). Et c’est ainsi que le concile de Valence confirme la même condamnation, sans supposer de même qu’elle soit soutenue par qui que ce soit, mais pour empêcher seulement que ce mal n’arrive (Conc. Valent., can. 3). C’est par un semblable zèle que les saints Peres, imitant une prudence si nécessaire, ont réfuté dans leurs écrits les erreurs qui n’étoiant pas encore. Et comment, sans cela, pourroit-on s’y opposer quand elles commencent à paroître ? Les saints Pères, qui ont combattu Nestorius, publient, avec une sainte joie, que saint Augustin l’a étouffé avant sa naissance, admirant la providence particulière de Dieu sur son Église, de l’avoir si saintement armée des écrits de ce saint docteur, avant que le démon eût armé cet hérésiarque des erreurs dont il devoit la combattre.

Il seroit inutile d’en rapporter plus d’exemples. On voit assez de là qu’on ne peut pas conclure de ce qu’une hérésie n’auroit point encore eu de sectateurs, qu’il seroit faux que les Pères s’y fussent opposés. D’où l’on peut tirer la conséquence sur le sujet dont il s’agit en ce discours.


Preuves du second point. — Que les saints Pères qui ont établi que les commandemens ne sont pas impossibles auroient été obligés à l’établir en ce sens, qu’il n’est pas impossible que les hommes les observent, quand même il n’y auroit point eu d’hérésie de ce sentiment, par cette seule raison que les pélagiens leur reprochoient continuellement de la tenir, de nier le libre arbitre, et de soutenir que les commandemens sont impossibles absolument, et que les hommes sont dans une nécessité inévitable de pécher.


On ne peut révoquer en doute que les pélagiens n’imposassent continuellement aux catholiques, qu’ils nioient le libre arbitre, et qu’ils tenoient l’impossibilité absolue des préceptes, de telle sorte qu’il y avoit une nécessité inévitable qui forçoit les hommes à pécher, et que ces seuls reproches ne fussent une raison suffisante pour obliger les saints docteurs à réfuter de telles erreurs, quand même elles n’auroient été