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DE PONTANGES.

la plus douce vie, — avec la femme qu’il avait épousée par vengeance, — avec l’ami qu’il avait voulu tuer.

Il faut dire à sa justification que Clémentine ne négligeait rien pour le séduire et l’enchaîner… Elle sacrifiait à cette idée jusqu’à ses plus chers sentiments.

Elle avait remarqué que les manières un peu communes de son père embarrassaient quelquefois son mari ; qu’il était honteux de sa famille roturière, vis-à-vis de ses amis d’outre-pont. Eh bien ! quand ces grands et élégants personnages venaient chez elle, elle supprimait son père ces jours-là ; et le bonhomme, qu’elle avait dressé à cela, ne se fâchait pas. D’ailleurs elle allait le voir tous les jours, et lui donnait une place au spectacle quand son mari ne voulait pas y aller.

Si les gens qu’elle avait chez elle étaient de gais convives, dont sa sœur eût gêné la conversation, et que son père au contraire faisait valoir, elle invitait son père, et laissait Valérie dîner seule, chez elle, comme une pauvre Cendrillon.

Elle ne l’emmenait pas non plus à l’Opéra quand Lionel y venait, parce que Lionel aimait ses aises, et qu’avec deux femmes il ne pouvait se placer sur le devant de la loge.

En cela, elle était bien différente de madame de Pontanges, qui gardait constamment sa tante, son ennuyeuse tante, à ses côtés, et le bon curé qui l’avait élevée, et la hideuse Clorinde qu’elle avait recueillie par charité… S’entourer d’ennuyeux quand on veut être aimée, quelle faute ! quelle faute !…

Clémentine avait su l’éviter ; elle sacrifiait ses affections à l’aisance de ses plaisirs.

C’est ce qu’on appelle maintenant, savoir vivre…

Autrefois, le savoir-vivre était dans les déférences éclairées. Aujourd’hui, savoir vivre, c’est s’amuser et ne se gêner pour personne et pour rien.

Les considérations perdent les affaires, les plaisirs et les sentiments… Oh ! les sentiments surtout !… ils n’y résistent pas !…

Si madame de Pontanges avait sacrifié sa tante et son maussade entourage, Lionel ne l’eût jamais abandonnée…

À Paris, au sein d’une vie brillante, les rigueurs d’une femme peuvent se supporter… D’abord, les plaisirs eux-mêmes