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MONSIEUR LE MARQUIS

Ne sens-tu pas comme je t’aime ? est-il possible qu’un amour si violent n’ait pas d’écho ? Ah ! viens, que je te dise une fois toute ma pensée. Mon Dieu ! que j’ai souffert de te la cacher ! — toi que j’aimais d’une passion si délirante, à qui, dans le fond de mon cœur, je donnais les noms les plus tendres, les caresses les plus passionnées… et que j’appelais poliment : Monsieur… à qui je tendais la main avec froideur… quand toute mon âme s’élançait vers toi. Et tu me quittais mécontent ; tu ne comprenais pas qu’en t’éloignant tu emportais ma vie avec toi. Il y avait des jours où cette contrainte si vive m’épuisait. J’avais du courage en ta présence, et puis ta passion était si puissante que j’en avais peur… j’y résistais ; mais quand tu n’étais plus là, je n’avais plus de force. L’émotion l’emportait sur ma volonté. Tu ne sais pas ! un soir que tu m’as fait tant de reproches et que je n’ai rien dit, que tu m’as quittée avec tant de colère, eh bien, on m’a trouvée évanouie. J’ai failli mourir… et toi, tu m’as maudite ; tu croyais que je ne t’aimais pas, et tu es parti désespéré, toi ! malheureux !… quand je t’aimais tant… Oh ! cette idée me révolte. J’ai été absurde. Non, je ne souffrirai plus ce que j’ai souffert… j’aime mieux la honte, j’aime mieux le remords… je mentirai, je serai fausse, je serai coupable, méprisable, mais je t’aimerai. Reviens, reviens… Tu recevras cette lettre demain, tu partiras tout de suite, et moi j’irai… »

Cette lettre n’était pas achevée ; Lionel eut quelque peine à lire la fin, tant l’écriture était confuse.

La main qui avait tracé ces lignes avait bien tremblé. Ces caractères bizarres exhalaient la fièvre ! C’était une écriture nerveuse et malade, et dans le style on reconnaissait plus encore le délire d’une maladie de cerveau que le délire de la passion.

— Elle est donc bien longue cette lettre ? demanda madame de Pontanges tout en continuant ses recherches. Ah ! voici un billet de madame de Staël à mon grand-père ! Je vais le mettre à part. Voyez-le… Eh bien, qu’avez-vous ?

— Laurence ! Laurence ! est-ce bien vous qui avez écrit cela ?