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DE PONTANGES.

— Ouoi ? le billet de madame de Staël ? dit-elle en affectant de plaisanter.

— Oh ! ne riez pas. Taisez-vous… ne parlez pas, je vous en prie ; laissez-moi relire cette lettre. Donnez-la-moi… que je l’emporte : elle ne me quittera plus… Malheureux ! s’écria-t-il d’une voix déchirante, comme elle m’aimait !

Lionel, en disant ces mots, portait la lettre à ses lèvres et la baisait avec transport.

— Et c’est aujourd’hui que je trouve cette preuve si touchante de son amour ! aujourd’hui qu’elle est insensible, aujourd’hui qu’elle ne m’aime plus !…

— Qu’est-ce qui vous prend donc ? vous êtes pâle à faire peur. Voyons cette lettre.

— Non, je la garde.

— Soyez tranquille, je vous la rendrai ; mais je suis curieuse de savoir ce qu’elle contient, ce qui peut vous mettre dans cet état de délire.

— Vous ne vous souvenez donc plus de l’avoir écrite ?

— Si, je sais que je vous ai écrit le jour où je suis tombée malade, que ma tante est entrée chez moi comme j’écrivais, que j’ai serré la lettre dans ce portefeuille, et, comme je souffrais beaucoup, on m’a forcée de me mettre au lit. J’y suis restée six semaines avec une fièvre terrible dont j’ai failli mourir ; mais…

Lionel, que le ton léger de madame de Pontanges irritait, tressaillit.

— Rassurez-vous, dit-elle avec ironie, je me porte à merveille maintenant… J’avoue à ma honte que je ne me souviens pas de ce qui m’a fait écrire cette lettre. Je n’en ai aucune idée ; donnez-la donc, que je voie… C’est très-singulier, ajouta-t-elle avec le plus froid sourire.

— Non, je vous la lirai. Je n’ai pas confiance en vous, vous ne me la rendriez pas… Oh ! vous ne lui ressemblez plus !

— Gardez-la en vérité, je n’ai pas peur d’être compromise ; mais lisez vite avant qu’il vienne quelqu’un.

Lionel lut ; sa voix tremblait, son accent faisait mal… Madame de Pontanges jouissait de son désespoir avec une barbarie infernale ; elle faisait servir le souvenir de son amour