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LE VICOMTE DE LAUNAY.

mais qui ne suffit pas lorsqu’on voit si clairement dans le jeu des autres, lorsqu’on a si peu à perdre et qu’on tient si peu à gagner. Oh ! pour juger équitablement le monde, il ne faut pas lui être devenu par trop étranger ; pour lui reprocher sans amertume ses erreurs, il faut les comprendre, et on ne les comprend réellement bien qu’en les partageant. Mettons-y donc de la délicatesse, laissons aux idées graves que nous avons nourries dans la solitude le temps de s’évaporer ; laissons aux vanités contagieuses le temps de nous atteindre aussi ; attendons, pour peindre le monde, qu’il nous paraisse moins laid, c’est-à-dire que nous commencions à lui ressembler.

Bref, nous ne vous dirons pas cette fois l’impression que Paris nous fait, nous vous dirons ce qui fait impression à Paris.

Pendant huit jours on n’a parlé que de l’affaire Marcellange. Ce qui semble effrayant dans ce procès, et ce qui rendra épouvantables tous les procès à venir, c’est la façon dont les témoins à charge et à décharge ont été traités pendant ces débats. Les deux avocats ont fait preuve d’une intelligence admirable, d’un véritable talent, nous nous hâtons de le reconnaître ; mais rien n’est plus dangereux que leur système de défense : grâce à cette facultative appréciation de la moralité des témoignages, le témoin se trouve passer à l’instant même à l’état d’accusé, comme le témoin des anciens duels passait à l’état de combattant. Ses affaires, ses habitudes, ses défauts, les malheurs de sa vie, les secrets de son ménage, sont dévoilés sans pitié dans l’intérêt de la cause ; et puis on lui adresse mille injures. « Quels sont donc vos témoins ! s’écrie le premier avocat avec un mépris amer : une folle qui à telle époque a fait telle extravagance ; un misérable joueur qui vendrait son âme pour dix écus ; un espion imposteur qui se rappelle ce qu’il invente ! — Et les vôtres donc, ils sont honorables ! répond le second avocat avec non moins d’ironie ; ce sont des faussaires, de faux témoins, de faux dévots ! »

Le premier avocat reprend avec une finesse malicieuse : « Votre ingénue mademoiselle une telle allait bien souvent visiter l’accusé ! »

Le second avocat réplique avec une intention non moins