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LE VICOMTE DE LAUNAY.

l’hôtel splendide ; sanctuaire inconnu où pour la première fois il est permis de pénétrer. Ce jour-là, l’objet merveilleux qu’on allait admirer par caravanes était la Madeleine de Canova. La belle pénitente, éclairée encore avec coquetterie, pleurait en silence dans l’oratoire sombre qui lui était consacré ; et toutes ces femmes parées de velours et de satin, de perles et de diamants, venaient rendre hommage à ce poétique modèle de douleur et d’humilité. Et l’on n’entendait que ces mots : « Avez-vous vu la Madeleine de Canova ? — Je viens de voir la Madeleine de Canova. — Venez donc voir la Madeleine de Canova. — Quoi ! vous n’avez pas vu la Madeleine de Canova ?… » Un de nos amis s’est beaucoup moqué de nous à propos d’elle. « Eh bien, nous disait-il, vous venez de l’admirer, qu’en dites-vous ? — Mais, franchement, je ne l’avais pas vue depuis douze ans, et je l’ai trouvée bien changée. » Cette réponse lui a paru fort ridicule.

N’est-ce pas que c’est une fête bien complète que celle-là où chez une femme séduisante et spirituelle, entourée des illustrations de tous les pays, on écoute la musique de Rossini en regardant le chef-d’œuvre de Canova ?

Après les concerts sont venues les fêtes de charité. Le majestueux hôtel Lambert, nouvellement acheté par la princesse Czartoryska, avait offert ses salons superbes au bal des Polonais ; là les sujets de pèlerinage ne manquent pas, les caravanes étaient nombreuses ; cette fête était admirable, elle a fort bien réussi. Un mot de critique : il n’y avait peut-être pas assez de Français. « Eh ! dira-t-on, le gouvernement fait beaucoup pour les étrangers réfugiés, témoin ce paysan bourguignon qui sollicitait, il y a quelques mois, de son sous-préfet, une place de réfugié espagnol… » Le gouvernement fait beaucoup, sans doute, mais les largesses du gouvernement sont payées par les pauvres gens, tandis que les plaisirs de charité sont des impôts supportés par les riches ; et si les riches donnaient davantage, les pauvres ne seraient peut-être pas obligés de donner du tout. Nous hasardons cette réflexion.

Ensuite sont venus les bals mondains périodiques. Celui du prince Tuffiakin est chaque année impatiemment attendu. Cette fête exceptionnelle où s’épanouissent les fleurs de tous les