Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/31

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déconcerté par cette mauvaise plaisanterie ; mais ne vous dérangez pas, ajouta-t-il en regardant les autres convives.

Cette politesse était fort inutile, car les cousins n’avaient nulle envie de se déranger : M. de Fontvenel ne leur plaisait pas. Les petits pareils d’un jeune homme riche n’aiment jamais son ami. N’ignorant pas leur malveillance, M. de Fontvenel n’était point à son aise auprès d’eux, et Edgar pas du tout à son avantage.

— Eh bien, grave penseur, lui dit-il avec ce ton d’ironie qui éloigne, tu ne nous dis rien ! Quel travail important nous a donc privé de ta présence au bal d’hier ?

— Une affaire imprévue m’a retenu chez moi.

— Je vous plains, en vérité, dit un des cousins ; le bal était admirable et je m’y suis fort amusé.

Tous trois se mirent alors à parler de la fête, sans songer que M. de Fontvenel n’y était pas allé, et ne pouvait se mêler à la conversation. Mais il était trop préoccupé, trop inquiet pour être sensible à cette impolitesse de famille.

M. de Fontvenel se trouvait dans une situation d’affaires alarmante qui pouvait compromettre son honneur et sa réputation. La faillite d’un banquier venait de lui enlever une somme considérable sur laquelle il comptait pour acquitter une dette importante. Il lui fallait payer cinquante mille francs le jour même, il ne les avait pas ; et, connaissant la générosité de M. de Lorville, il venait lui emprunter cette somme, persuadé que, si elle était à sa disposition, il n’hésiterait pas à l’obliger.

Quel fut son découragement lorsqu’au lieu de trouver son ami seul, comme il l’était ordinairement de si bon matin, il le surprit avec deux personnes dont il connaissait la malveillance et la cupidité !

À peine fut-il entré, il vit que l’atmosphère ne lui était pas favorable et il renonça au projet de sa demande. Être refusé par un indifférent lui paraissait une chose toute naturelle ; mais se voir repousser par un ami ! cette pensée lui déchirait le cœur. Une grande tristesse s’empara de lui. Hélas ! n’est-ce pas déjà nous repousser, que nous ôter l’idée de la prière ! N’y a-t-il pas de l’inspiration dans cette timidité ? Et l’homme à qui l’on n’a jamais osé demander un service l’aurait-il rendu ?