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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/329

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DE PONTANGES.

Et puis, lorsqu’il eut expliqué la cause de sa longue absence, Laurence, retombant soudain des hauteurs de sa pensée, et ne trouvant pour répondre aux exigences de son inquiétude qu’une excuse banale sans importance, sans romanesque, sentit son cœur se glacer d’indifférence, et il lui fut impossible de dissimuler cette impression.

Une passion profonde dans un cœur vierge conserve son instinct, et l’instinct vaut quelquefois mieux que l’expérience.

Tout calcul apporte avec lui une vertu refroidissante.

Or il y avait calcul, froid calcul dans la conduite de M. de Marny ; et ce calcul agit sur l’âme de Laurence en dépit d’elle-même.

Voilà ce que M. de Marny n’avait point prévu, ce qui avait échappé à ses diplomatiques ruses, c’est l’indifférence de madame de Pontanges — et le profond chagrin qu’il en ressentit… et ce fut aussi ce qui le sauva.

Il avait voulu séduire à l’aide d’une ruse !… Eh ! mon Dieu, c’est justement parce que cette ruse échoua qu’il réussit… qu’il mérita d’être plus aimé que jamais.

D’abord, il attribua la froideur-de madame de Pontanges à la présence de sa tante et du bon curé, qui tous deux se trouvaient dans le salon lorsqu’il arriva ; et il attendit avec une émotion mêlée d’inquiétude et d’espérance le moment où il serait seul avec Laurence.

Ce moment arriva.

Lionel s’approcha d’elle :

— Ah ! s’écria-t-il avec tendresse, que je suis heureux de vous revoir !

— Je vous remercie d’être venu, dit-elle, mais je crains que ce voyage ne vous ait contrarié ; puisque vous aviez affaire à Paris, vous auriez dû m’écrire, et…

— Moi ! oh ! je n’aurais pu attendre une heure plus tard !

Il disait cela, lui qui avait perdu deux jours de bonheur volontairement.

— En vérité, reprit madame de Pontanges du ton le plus calme, le plus naturellement poli, j’ai moins de plaisir à vous voir en pensant que vous m’avez peut-être sacrifié une affaire importante.