Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 2.djvu/37

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a dans toutes les opinions violentes un fond de souvenirs ou de projets, une arrière-pensée de place perdue, obtenue ou à obtenir ? Lorsqu’on sait enfin que chacun juge l’intérêt général de sa position particulière, toute discussion devient inutile. Ce n’est pas que les opinions manquent de bonne foi, oh ! chacun est de bonne foi dans son intérêt, mais elles manquent de stabilité ; et, tout en contrariant la plus exagérée, on prévoit les chances qu’elle a de se modifier, le danger qu’elle court de changer. Aussi M. de Lorville, qui connaissait toutes les ambitions, disait en plaisantant qu’avant de combattre un principe politique, il attendait que le succès ou le désespoir l’eût fixé définitivement.

M. de Lorville n’était allé qu’une seule fois à la chambre des députés ; certes, son talisman eut ce jour-là une belle occasion d’exercer son pouvoir. Si Edgar eût été Allemand ou Anglais, il se serait fort diverti de cette fourmilière de vanités déclamantes et de ces nobles désintéressements de comédie dont il savait l’histoire et les conditions ; mais il aimait trop son pays pour rire des ridicules qui le perdent, et il conserva de cette séance un souvenir triste et décourageant. Il se refusa ainsi le plus grand amusement que son lorgnon n’eût pas manqué de lui offrir. Il aurait pu se dédommager de cette privation en allant observer dans les brillants salons du Palais-Royal, où les plaisirs cachent tant de tristesse, les nouvelles vanités, les nouvelles prétentions des nouveaux courtisans de la nouvelle cour ; malheureusement pour sa gaieté, l’ancienne position de son père lui imposait des devoirs auxquels il restait fidèle. Les derniers troubles de cette année lui auraient aussi fourni des observations non moins piquantes ; il aurait pu s’amuser beaucoup en lorgnant l’émeute à son passage, mais le même sentiment qui lui faisait fuir les séances de la Chambre des députés lui faisait détourner les yeux d’un spectacle si affligeant pour un véritable ami de son pays.

Cependant chacun s’étonnait de sa tolérance et de sa merveilleuse sympathie avec toutes les différentes exagérations. À ses yeux, quand il avait son lorgnon, les deux partis qui divisent en ce moment la France étaient ainsi désignés : les regrettants et les prétendants ; et pour causer à l’unisson