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MONSIEUR LE MARQUIS

Paris, huit heures.

Lionel est aux Variétés ; c’est une représentation extraordinaire : tout ce qu’on connaît est là. M. de Marny y est avec toute sa société. On a loué cinq loges. Sa femme est mise à merveille ; elle avait tant de robes dans son trousseau ! C’est la femme la plus élégante de Paris. Toutes les lorgnettes sont braquées sur son chapeau… M. de Marny s’en aperçoit avec plaisir. Puis Odry arrive ; il est absurde, niais et spirituel à mourir de rire ; puis Vernet ; puis toute la troupe enfin… Lionel s’amuse et rit comme un enfant.

Pontanges, huit heures.

Le temps est superbe. Laurence est à sa fenêtre, pendant que sa tante joue au piquet dans le salon. Elle contemple les étoiles en silence. — Peut-être il les regarde en cet instant, pense-t-elle. Voilà les deux étoiles qu’il aimait… « Celle-ci est la vôtre, » me disait-il… Je ne sais, mais, ce soir, il me semble qu’il pense à moi… c’est un pressentiment, et j’y crois… Que fait-il à cette heure ? Qu’il doit être malheureux près de cette femme qui ne le comprend pas !… Il a tant d’exaltation ! il a l’âme si triste, lui !

Paris, onze heures du soir.

M. de Marny est au Rocher de Cancale avec une nombreuse et brillante compagnie. — Je meurs de faim !… dit-il. Toutes ces dames sont arrivées, pourquoi ne sert-on pas ?… Ma foi, j’ai bien ri !… Odry est adorable. Je bois à la santé d’Odry !

Pontanges, onze heures du soir.

Madame de Pontanges est rendue à elle-même ; elle monte dans son appartement… elle prend un livre… un roman… elle regarde aussi un volume de poésies de Lamartine… elle l’ouvre et lit ces vers :

Quand la feuille des bois tombe sur la prairie,
Le vent du soir se lève et l’arrache aux vallons ;
Et moi je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons…