— Oh ! ces souvenirs-là, je les reçois si mal qu’ils n’osent plus revenir.
— Je m’en aperçois, et…
— Ne vous fâchez pas, Lionel, dit Laurence en lui tendant la main, il ne doit jamais y avoir d’amertume entre nous.
Lionel fut blessé de ce ton affectueux.
— Je ne suis pas si généreux, dit-il, je ne puis me consoler de vous revoir ainsi. Adieu, madame.
— Pourquoi me dire adieu ?
— Je ne reviendrai pas.
— Quelle idée !
— J’aime mieux mes souvenirs que vous. Oh ! vous n’êtes pas cette Laurence si noble, si bonne, en qui j’avais tant de confiance.
— Tant… que vous l’avez trompée !
— Non, je ne veux pas apprendre qu’on peut haïr ce qu’on a tant aimé. Ne me désenchantez pas ainsi, je vous en conjure, madame ; dites que c’est un rôle que vous prenez. Redevenez ma douce Laurence d’autrefois.
— C’est impossible ; mon cœur s’est desséché, dit-elle d’une voix qui commençait à s’émouvoir. J’ai souffert, j’ai été bien malheureuse depuis un an !
À la place de Lionel, un autre eût répondu en levant les yeux au ciel : Et moi ! mais Lionel ne savait pas mentir, et comme il s’était fort amusé depuis ce temps, il ne dit rien.
Laurence apprécia cette franchise.
— Savez-vous ce qui m’a guérie, dit-elle, c’est de vous revoir. Le jour où je vous ai rencontré au Diorama avec votre femme, je vous ai trouvé si joyeux, si frais, si naïvement infidèle, que cela m’a complètement désillusionnée. J’ai cessé de vous aimer ce jour-là. Nous sommes parties pour Londres le lendemain.
— Avec qui êtes-vous allée à Londres ?
— Avec ma cousine, madame de Champigny.
— Son frère était sans doute du voyage ?
— Non, il n’est venu nous rejoindre que plus tard.
Lionel devint pâle à cette réponse. Madame de Pontanges, toujours bonne, sentit le besoin de le rassurer.