ne juger madame de Champléry que par lui-même, et de ne partager en rien les préventions de son ami.
Arrivé à l’Odéon, M. de Lorville se sentit ému en songeant qu’il allait passer la soirée auprès de cette femme qui le préoccupait d’une manière si étrange, et, pour la première fois peut-être depuis son retour à Paris, il éprouva de l’embarras.
La science qu’il avait rapportée de ses voyages lui avait donné tant d’assurance ! toute sa personne était changée depuis cette époque. Ses manières avaient acquis un aplomb étonnant pour son âge. Dans l’attitude d’un homme qui sait et qui devine, il y a quelque chose de calme, une sécurité qui impose ; on sent qu’il a sur nous un avantage, et quelle que soit sa jeunesse, comme cet aplomb n’est pas celui de l’ignorance ni celui de la sottise, on est forcé de lui reconnaître une sorte de puissance ; d’ailleurs, quand on a le secret de chacun, on devient si indulgent, et l’indulgence dans la jeunesse est déjà de la supériorité : aussi M. de Lorville passait-il pour l’un des jeunes gens les plus spirituels de Paris, réputation qu’il devait en partie à son talisman, mais qu’il n’était cependant pas incapable de soutenir.
Au moment où les deux amis entrèrent dans la loge, mademoiselle George était en scène ; madame de Clairange et Stéphanie se contentèrent de les saluer sans rien dire, pour ne pas exciter les chut offensants du parterre orageux de l’Odéon. Madame de Champléry, abîmée dans ses réflexions, ne tourna pas la tête pour voir qui venait d’entrer ; Edgar en fut donc réduit à admirer ses beaux cheveux blonds arrangés avec art, et à étudier tous les détails de sa mise élégante. Lorsqu’il eut contemplé pendant un moment le léger fichu de tulle brodé qui entourait un col gracieux, la jolie ceinture bleue qui dessinait une taille svelte et élégante, cette robe de mousseline blanche si bien faite, si bien attachée, il commença à s’ennuyer ; alors, pour forcer Valentine à regarder de son côté, il imagina de lancer, de manière à ce qu’elle pût l’entendre, une de ces bêtises révoltantes qui font scandale et qui forcent la personne la plus distraite à lever la tête pour regarder quel est l’imbécile qui a pu la dire.
— En vérité, s’écria Edgar, en regardant mademoiselle