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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/120

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MARGUERITE

— On peut aimer autrement.

— Non ; vous vous imaginez peut-être que d’Arzac vous aime !

— Oui vraiment, et comme je veux qu’on m’aime.

Elle fut très-contente d’avoir trouvé cette malice qu’elle jeta d’un ton dédaigneux.

— Oh ! je le reconnais, il vous est complètement attaché, dévoué, consacré ; mais ce dévouement n’est pas de l’amour….

Elle allait se fâcher ; il feignit de plaisanter.

— Sans doute, continua-t-il, Étienne fera pour vous toutes sortes de belles actions, de nobles choses… moi, je ne ferais rien que du mal… mais je le ferais bien et avec ardeur ; lui vous aime pour vous, moi je vous aimerais pour moi… Par exemple il se jetterait au feu pour vous ; moi je vous jetterais au feu pour moi… mais avec quelle passion !… Lui, enfin, aimerait mieux mourir que de vous voir souffrir, que de vous causer le plus léger chagrin ; moi… si j’étais inquiet, jaloux ou mécontent de vous, je vous ferais des scènes affreuses, et loin d’éprouver la moindre pitié, je vous verrais souffrir, pleurer, sangloter avec délices… parce que, moi, je vous aime et que lui ne vous aime pas. Non, le sentiment qu’il a pour vous n’est pas de l’amour.

— Qu’est-ce donc ?

— C’est… une appréciation exaltée. Croyez-moi, ces natures si nobles, si généreuses, ça ne sait point aimer, ça ne sait que se sacrifier… Eh bien, quand on se sacrifie, c’est tout de suite fini : on vous oublie ; tandis que lorsqu’on tourmente, cela dure, on pense à vous. Le sacrifice est borné, mais le tourment est si varié ! Pour bien aimer, il faut être méchant ; les bonnes âmes ne valent rien en amour.

— En amour, soit ; mais en ménage, je ne rêve nullement ce tyran passionné dont la joie serait de tourmenter ma vie.

— Vous avez raison de ne pas le rêver, mais s’il existe, vous auriez tort de ne pas le choisir.

— Il existe peut-être, mais je ne le connais pas.

— Vraiment ! reprit-il avec un accent de reproche plein de douceur, vous n’avez jamais rencontré un regard qui attirât le vôtre par une force irrésistible… et vous n’avez pas senti dans cette sympathie toute-puissante une loi, ou, comme vous l’ap-