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OU DEUX AMOURS

comédies de sentiment, admirablement déclamées, ne peuvent plus intéresser.

— Marguerite, dit Étienne, vous étiez bien troublée auprès de lui… Il s’excusait d’être jaloux.

— Oui, c’est vrai, cela vous a fait croire que je l’aimais ; c’est un trouble très-facile à expliquer et où l’attrait n’est pour rien. Vous saurez que M. de la Fresnaye, depuis deux ans, s’amuse à me suivre partout. J’avais bien remarqué cette espèce d’ombre qui s’attachait à mes pas ; mais je croyais que c’était quelque aventurier inconnu, et je n’y pensais guère, lorsque j’ai découvert que mon adorateur était M. de la Fresnaye. Cette découverte, naturellement, m’a contrariée. C’est pourquoi vous m’avez vue souvent rougir à son nom ; mais il est une vérité que je dois vous avouer : quand j’ai appris que c’était lui qui avait sauvé Gaston, j’ai oublié toute cette folle aventure, et je l’ai aimé bien franchement de reconnaissance et d’amitié sérieuse ; ça, je ne vous le cache pas.

À mesure que Marguerite lui faisait ses aveux, Étienne se sentait pâlir et défaillir ; plus elle lui expliquait son indifférence pour Robert, plus il se disait : Elle l’aime !… et il lui fallait tout son courage pour l’écouter de sang-froid.

— Je l’aurais traité affectueusement toujours, reprit-elle, s’il n’avait pas voulu recommencer à parler de sa passion, de ses regrets, de toutes choses enfin qu’il sait très-bien être inutiles… et qui d’ailleurs ne sont que des mensonges. Je trouve étrange, je trouve offensant qu’un homme ose dire à une femme qu’il l’aime, quand cette femme va se marier avec un autre homme qu’elle a choisi et qu’elle préfère ; il y a dans cette audace une fatuité impardonnable, et je me manquerais à moi-même si je lui permettais, même en riant, de me tenir ce langage un jour de plus. Aussi je suis très-décidée à le mettre à la porte sans cérémonie, et cela ne me coûtera guère ; car maintenant je le hais parce qu’il vous a rendu malheureux. Étienne, ce n’est pas à vous d’être jaloux de lui. Une femme aimée de vous serait bien folle de sacrifier un si noble amour à toutes ces faussetés éloquentes. Étienne, n’ayez plus peur me ce rival ; je sais trop ce que vous valez pour vous comparer même à lui ; vous êtes tout amour et dévouement ; lui n’est