sœur chez madame de Meuilles, comme elle admirait sa générosité envers cette enfant abandonnée qu’il lui aurait été si facile de renier impunément : « J’ai hésité un instant à cause de vous, dit-il en souriant, car enfin cette reconnaissance m’ôte quatre-vingt mille livres de rente… mais j’ai pensé que, comme à moi, cela vous serait bien égal… »
Marguerite fit semblant de ne pas entendre ; elle s’occupa de la jeune fille pour se donner une contenance, mais sa rougeur prouva qu’elle avait bien entendu.
Cette parfaite confiance de Robert lui semblait ridicule ; cependant elle s’en inquiétait. Ainsi, pendant que Marguerite attendait si naïvement la guérison de son amour pour Robert, Robert attendait orgueilleusement qu’elle eût oublié Étienne. Il admettait les égards qu’on devait à une ancienne affection, à un vieil amour éteint, passé, trépassé, et il permettait qu’on lui rendît les derniers devoirs.
Par une sorte de convention tacite, Étienne et Robert évitaient de se rencontrer. Étienne venait tous les soirs, Robert ne venait jamais que dans la journée. Chacun, dans la lutte, avait un auxiliaire : Étienne était chaudement soutenu par madame d’Arzac ; Robert, puissamment protégé par Gaston. Et Marguerite, pendant ces quelques jours de fausse liberté qu’on semblait lui laisser, s’enivrait de ce double amour, et passait de longues heures à interroger ses sentiments, sans les comprendre.
Parfois elle se disait : « Si je cessais de voir M. de la Fresnaye, je ne penserais plus à lui… » Jamais l’idée ne lui était venue de cesser de voir Étienne… « Si j’étais la femme d’Étienne, se disait-elle encore, je l’aimerais par amour et par devoir, et comme ce serait un crime de me rappeler un autre amour, j’oublierais cet autre amour… » Jamais l’idée ne lui était venue d’épouser M. de la Fresnaye.
Un soir, Étienne, la voyant malheureuse, inquiète, épuisée par ses combats et ses remords, lui dit avec un courage plein de tendresse : — Pourquoi vous tourmenter ainsi ?… Vous l’aimez… dites-le franchement, ma pauvre Marguerite ; je ne saurais vous en vouloir… ce n’est pas votre faute. Eh ! mon Dieu, l’amour n’est si beau que parce qu’il est involontaire ;