un obstacle, pas un ennui, pas un reproche, pas un remords. Pourquoi donc résister, pourquoi refuser son avenir à ce jeune homme si dévoué, qui méritait si bien d’être choisi ? Il n’y avait aucune raison. Un autre amour ? quelle folie ! Aimer un inconnu, un étranger, un monsieur que détestait sa mère… qu’elle connaissait à peine depuis quelques mois et qui n’était pas venu dix fois chez elle !…
Gaston n’était pas là pour parler de son pauvre sauveur oublié : aussi cette bonne journée fut toute en faveur d’Étienne, et quand madame de Meuilles lui dit adieu pour retourner chez elle, le jeune blessé la remercia avec confiance, avec bonheur. Marguerite avait entendu parler de son mariage sans se troubler ; elle avait consenti par un sourire à tout ce qu’on en disait ; elle était donc enfin décidée, et puis elle était là, chez son père, presque chez lui, et cette présence le rendait si heureux qu’elle le persuadait ; il ne pouvait pas s’imaginer qu’un plaisir si vif fût incomplet ; il en déduisait cette conséquence : « Je suis heureux, donc elle m’aime, donc elle n’aime que moi ! » Dans sa joie, il avait presque oublié Robert de la Fresnaye.
Marguerite, arrivée chez elle, se disait : « Pourquoi n’ai-je pas le courage d’être heureuse ? car, ma raison me le dit, le bonheur est là »
On vint lui demander si elle voulait recevoir M. de la Fresnaye. Son premier mouvement fut de répondre non ; mais elle pensa que Robert devait connaître la véritable cause du duel de M. d’Arzac, et elle résolut de le voir un instant pour l’interroger. À peine fut-il près d’elle que, prenant un air agité, elle lui dit : « Je ne reçois personne ; mais j’ai voulu vous parler un moment pour vous demander si vous savez quelque chose de cette affaire ; ce n’est pas avec un Espagnol que mon cousin s’est battu, n’est-ce pas ?
— Non, madame : c’est avec le duc de R…
— Et pour quel motif ?
— Pour le punir d’une chose stupide qu’il avait osé dire.
— Contre lui ?
— Contre vous.
— Contre moi ! s’écria Marguerite, Étienne s’est battu à cause de moi ?