— Vous avez à me demander quelque chose ? dit-elle.
— Oui. Après avoir épuisé toutes les souffrances, je me suis trouvé cette consolation… Car vous ne savez pas, madame, combien j’ai été malheureux en apprenant votre mariage ! J’ai manqué en mourir de douleur, tout bonnement. J’avais tant d’espoir !… Je le confesse, pour le dernier jour, ça m’est égal de vous fâcher… j’étais persuadé que vous m’aimiez, et j’avais construit tout mon avenir sur cette idée… Enfin, j’étais tellement convaincu que vous seriez ma femme, que chez moi, dans ma maison… Mais non ! je ne veux pas vous dire cet enfantillage, vous vous moqueriez de moi, et puis cette pensée me déchire le cœur…
Il avait des larmes dans les yeux en disant cela… et Marguerite l’écoutait avec délices. À mesure qu’il racontait ce qu’il avait souffert, elle reprenait à la vie, elle entrevoyait une chance de bonheur. Oh ! elle n’hésitait plus… c’était bien Robert qu’elle aimait ; maintenant elle ne pouvait plus s’y tromper. Robert réunissait en ce moment cette double séduction que définissait si plaisamment le jeune faiseur de paradoxes du Jockey-Club : Robert réunissait l’intérêt et l’attrait ; on l’aimait parce qu’on l’aimait et puis aussi parce qu’on le sacrifiait ; il était à la fois séduisant et intéressant ; il était paré de mélancolie, il méritait d’être aimé pour ses souffrances et pour sa tendresse. Marguerite, enfin clairvoyante, comprenait que Robert était son maître et que, lui seul au monde, elle pouvait l’aimer de tous les amours : amour de nature, amour de cœur, amour d’orgueil… car il ne faut pas oublier cet amour-là. Aimer avec orgueil, être fier de ce qu’on aime ! ce n’est qu’un luxe, mais c’est un bien beau luxe ! il y a même des gens qui ne savent pas se passer de celui-là.
Cette foi nouvelle, mais déjà profonde, inspirait à Marguerite du courage ; elle se proposait de lui dire… et pour cela il lui fallait faire un effort… qu’elle aussi, depuis quinze jours, avait horriblement souffert, et qu’elle voyait enfin que le bonheur n’était pas là où elle avait cru devoir le chercher… lorsque M. de la Fresnaye, continuant son récit, s’écria :
— Ah ! que l’on est fou quand on aime ! Heureusement je me suis souvenu que j’étais philosophe, et j’ai appelé la philo-