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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/188

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MARGUERITE

frait à chaque heure du jour, emportée puissamment par les uns, retenue violemment par les autres, jusqu’à ce qu’enfin l’amour lui eût rendu la liberté et l’eût ramenée à sa nature ; car dans l’âme de Marguerite, les affections du cœur, les affections sociales étaient vaincues par les affections de nature. Le mari et l’enfant l’avaient emporté sur la mère et l’ami ; en préférant Robert et son fils, elle était dans le vrai ; mais la société permet-elle qu’on soit dans le vrai, et la destinée humaine permet-elle qu’on trouve le bonheur ?

Qu’importe ! Marguerite, bercée comme dans un rêve, oubliait tout ; il lui semblait qu’elle n’avait jamais eu d’autre habitation que cette belle demeure, que cette maison était sa maison, et que tous ces êtres qui la soignaient, qui l’entouraient de tendresse, étaient sa famille réelle, ses véritables parents. Une joie ardente l’oppressait, un vertige invincible troublait ses idées. Plus ce qu’elle éprouvait lui semblait nouveau, plus elle avait de confiance ; tous ces symptômes de passion folle lui confirmaient son amour ; et loin de lutter contre sa violence, elle s’abandonnait, comme une voluptueuse proie, aux délicieux tourments de cette fièvre inconnue.

Et lui, comme il l’adorait ! avec quel orgueil et quelle tendresse il la suivait des yeux ! comme il était fier de son triomphe ! La voir enfin chez lui, penser qu’elle y viendrait bientôt comme sa femme pour ne plus le quitter jamais, quelle joie ! Après tant de chagrins et d’inquiétudes, c’était trop beau ! Marguerite était là, à cette même place où depuis un mois il passait de longues heures à penser à elle, à chercher un moyen de la reprendre à ceux qui la lui ravissaient. Comme il avait souffert la veille encore dans ce même salon, où il la voyait si heureuse et si belle ! Quelle angoisse il éprouvait alors… que de craintes ! « Si elle refuse de me recevoir ! si elle n’est pas seule ! si ce dernier adieu ne la trouble pas comme moi ! s’il me faut revenir ici sans elle, sans l’espoir de l’y ramener jamais !… » Ah ! quelle agitation… Et à travers toutes ces folies que de combinaisons profondes ! C’est bien toujours le même homme, le même caractère fait de calcul et de passion ! Robert avait, pendant quinze jours, préparé cette Scène qui devait décider de son sort ; il avait, pendant quinze jours, médité un