Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/204

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séduire, triompher est plus facile que régner ; usurper n’est rien, conserver est tout. L’empereur Napoléon lui-même nous a dévoilé la triste nécessité de ses batailles continuelles ; il serait plaisant qu’en nous donnant le secret des conquérants, il nous eût aussi donné celui des séducteurs.

En fait d’hommes à bonnes fortunes, vous ne devineriez jamais quel modèle M. de Lusigny s’était proposé. — Le duc de Lauzun ? direz-vous, qui, le premier, a fait de l’insolence un moyen de plaire ? — le maréchal de Richelieu, qui professait pour les femmes tant de culte et tant de mépris ? — le marquis de Létorière, d’autant plus dangereux qu’il était sincère et qu’on pouvait l’aimer quand on cessait de l’adorer ? — le comte de ***, célèbre séducteur de l’Empire, qu’on n’ose nommer parce qu’il n’a pas encore fini de séduire ? — Non, non, non.

Ce n’était aucun de ces grands maîtres. C’était un personnage beaucoup plus ancien, beaucoup plus respectable, beaucoup plus habile que tout cela, auprès duquel ces héros n’étaient que des ingénus ; un professeur qui a fait de la séduction un art immortel, une étude psychologique des plus profondes ; ceux-là séduisaient par instinct, mais lui séduisait par principe, et il a laissé le plus beau code de séduction que la perfidie humaine puisse imaginer. C’est une collection de recettes infaillibles, c’est tout un système ; mais il faut avoir la clef de ce système, il faut avoir le secret de ce langage. Heureusement, peu de trompeurs ont eu l’idée de l’étudier. Le personnage que M. de Lusigny s’était offert pour modèle était un séducteur de l’antiquité très-célèbre par l’habileté, la variété de ses moyens, tous plus ingénieux les uns que les autres. — Un séducteur de l’antiquité ? allez-vous dire encore, c’est sans doute Thésée, qui ne s’effraya point d’une rivalité avec le dieu des enfers, Thésée qui séduisit Ariane et l’abandonna pour séduire sa sœur Phèdre, qui du reste ne paraissait pas très-difficile à séduire ? Non, ce n’est pas Thésée ; c’est un séducteur bien plus terrible encore : c’est Jupiter enfin, puisqu’il faut le dire… le doyen des séducteurs, le père de toute la race ingannatrice, Jupiter, le Lovelace de l’antiquité, le don Juan olympien dont la science était si redoutable et qui connaissait si parfaitement le