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OU DEUX AMOURS

n’avait plus que très-rarement de ces pressentiments subits et sombres que Marguerite appelait ses attaques d’inquiétude : Marguerite l’aimait avec une si naïve tendresse, elle était pour lui si dévouée, elle le regardait avec des yeux si doucement troublés, elle était à toute heure si complètement occupée de lui, qu’il fallait bien, malgré tous les instincts de l’âme, tous les avertissements de la destinée, malgré toutes les convictions des sens — car il arrive parfois que notre cœur et notre raison sont persuadés d’une chose, tandis que nos sens sont, en dépit de nous, convaincus du contraire ; — il fallait bien, malgré tout cela, se rassurer et accepter l’espoir qui s’offrait avec les apparences de la plus positive réalité.

Que de fois l’on se dit, en faisant les préparatifs d’un voyage : « Je ne partirai pas ! je ne me vois pas en voiture… » Et en effet, on ne part point. Que de fois encore, lorsque tout annonce comme certain un événement très-probable, on se dit : « Cela ne sera pas, cela ne sera jamais… » Et cette prédiction de l’instinct bientôt se justifie ; l’événement auquel les sens ont refusé de croire n’advient pas.

M. d’Arzac, plus confiant, dans son avenir, s’était décidé à quitter Marguerite pour quelques heures et à aller à quatre lieues de la Villeberthier chercher des papiers indispensables à leurs nouveaux arrangements de fortune. C’était encore s’occuper de son mariage ; et cette perspective lui donnait le courage de s’éloigner. Il fit des adieux comme pour un an d’absence, et il ne voulut pas monter à cheval que Marguerite ne lui eût donné une rose pour en parer sa boutonnière, Elle était à la fenêtre et elle le regarda tant qu’il fut dans l’avenue ; au détour du chemin il lui envoya un baiser, et, arrêtant son cheval, il se mit à la contempler. Elle comprit que tant qu’il pourrait l’apercevoir il resterait là, et, pour rompre le charme, elle quitta la fenêtre et rentra dans le salon ; mais elle se laissa tomber sur un canapé en soupirant tristement.

— Ah ! dit madame d’Arzac en imitant ce profond soupir, que nous sommes à plaindre ! Vivre tout un grand jour sans lui !

— Vous riez, ma mère, mais c’est fort triste, et ce jour va me paraître bien long !

— J’ai un conseil à te donner : puisque nous ne pouvons le