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LE CHIEN VOLANT.

C’est qu’elle ne savait pas tout ce qu’était pour Léon ce chien si laid en apparence, si précieux en réalité. Ainsi on nous blâme souvent de nos regrets, parce qu’on ne connaît pas toute l’étendue de notre perte.

Henri était parti de chez M. de Cherville un peu trop tard ; hélas ! pour le bonheur de Léon, qui, n’ayant plus la ressource de ses promenades aériennes, passait toutes ses soirées tristement au coin du feu, avec ses parents.

Les journaux arrivaient tous les soirs à neuf heures ; M. de Cherville parcourait d’abord les nouvelles politiques, puis il donnait le journal à Léon, qui lisait tout haut les rapports, scientifiques, les feuilletons littéraires.

Un soir, Léon prit le journal et lut, comme il faisait chaque soir ; mais tout à coup il s’arrêta, les paroles expirèrent sur sa bouche, un froid mortel saisit ses membres, des larmes remplirent ses yeux, le journal s’échappa de ses mains, et Léon tomba évanoui.

C’est qu’il y avait dans ce journal un article intitulé : Académie des sciences, et un rapport de M. G. de Saint*** concernant un animal d’une construction bizarre, qui tenait à la fois du chien et de l’oiseau : du chien par les pattes, la queue et la mâchoire ; de l’oiseau par le crâne, le cerveau, la poitrine et les ailes… il ne faut pas oublier les ailes ! un animal enfin d’une espèce jusqu’alors inconnue, et à laquelle il proposait de donner le nom de chien volant.

L’idée n’était point mauvaise, en effet, et l’Académie l’avait adoptée.

S’évanouir pour la mort d’un chien ! dira-t-on, c’est trop. — Eh non ! ce n’est pas trop, mes enfants.

Les ailes du chien volant étaient pour Léon ce que les illusions sont pour le poëte ; et je mourrais, moi, si l’on m’arrachait mes illusions, si l’on m’enlevait mes chimères !