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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/59

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OU DEUX AMOURS

» — N’importe ! allez-y : c’est un devoir ; je vous attendrai ici.

» Elle alla chez son oncle ; le vieillard fut si touché de cette démarche, qu’il ne voulut plus la laisser repartir. Elle resta là, près de lui, un mois, à le soigner comme une fille. Il mourut, et il lui laissa toute sa fortune. Deux cent mille livres de rente, rien que cela.

» — Vous voilà riche, dit M. de la Fresnaye à la jeune héritière ; maintenant il faut retourner à Paris.

» — Y pensez-vous ? Je n’oserais me montrer nulle part. Et mon mari, que dira-t-il ? Il vous tuera !

» — Il me croit en Suède.

» — Et moi ?

» — Il sait que vous êtes chez votre oncle.

» — Depuis quand donc ?

» — Depuis le jour de votre départ.

» — Et qui lui à écrit cela ?

» — Mon valet de chambre, qui a une bien belle écriture.

» — Et ma lettre dans laquelle je lui disais un éternel adieu ?

» — La voilà.

» — Vous saviez donc que mon oncle était mourant ?

» — Sans doute, et cela expliquait votre fuite, cela arrangeait tout ; car je voulais bien vous enlever, mais je ne voulais pas vous perdre.

» — Vous ne m’aimez pas ! s’écria-t-elle.

» — Nous verrons, dit-il.

» Et nous voyons qu’il lui est encore très-dévoué. »

Cette histoire de M. de la Fresnaye le peint merveilleusement ; elle commence par la séduction du mauvais sujet, elle finit par la prudence et la délicatesse du véritable ami. C’est toujours la lutte du démon et de l’ange, comme cela est chez presque tout le monde ; seulement, ce qui est nouveau chez lui, c’est que c’est l’ange qui est vainqueur.

Tel était l’homme qui s’était mis à rêver tendrement à madame de Meuilles et qui se berçait de l’espoir de l’épouser, malgré son prochain mariage avec son jeune cousin qu’elle aimait ; et ce qui rendait cet homme redoutable, c’est qu’il savait vouloir ce qu’il rêvait.