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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/91

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OU DEUX AMOURS

Après le dîner, elle eut encore un moment de frayeur.

Gaston vint se faire câliner, admirer. Il avait une blouse neuve, on lui avait frisé les cheveux, il venait chercher des compliments. Marguerite tremblait qu’on ne lui parlât des plaisirs de la journée et qu’il n’en fît le récit. À chaque parole, elle redoutait d’entendre prononcer le nom de M. de la Fresnaye ; mais on était engagé dans une grande discussion politique, et après avoir accordé un coup d’œil à l’enfant de la maison par politesse, on se remit à crier et on ne s’occupa plus de lui.

Gaston remarqua que sa mère était très-belle. Il la regarda avec un mélange d’orgueil et d’attendrissement. Il y avait près de deux ans qu’il ne l’avait vue parée, et comme cette élégante parure lui semblait un gage de santé, il lui dit joyeusement : — On n’est plus malade avec une si belle robe !

Marguerite était en effet idéalement belle ce soir-là. Elle était aimable, spirituelle plus qu’à l’ordinaire et d’une autre façon ; c’était la même grâce, la même finesse, mais il y avait dans son esprit plus d’audace et dans son maintien plus d’aplomb ; c’était le ton et les manières d’une personne encore modeste, mais qui commence à avoir le sentiment de sa valeur et qui s’étonne moins d’être aimée. Étrange impression ! cette première atteinte d’orgueil tourna d’abord à l’avantage d’Étienne. Jusqu’alors la passion de son cousin pour elle lui avait paru une sorte de manie, de faiblesse, d’exagération romanesque, particulière à sa nature. Elle lui croyait un cœur exceptionnel ; elle s’imaginait que c’était dans son caractère d’aimer ainsi, et que toute femme pouvait lui inspirer un amour semblable ; mais maintenant qu’elle voyait un autre homme… et quel homme ! l’adorer de même, elle osait se croire réellement aimable, et la tendresse folle d’Étienne, qui le déconsidérait un peu à ses yeux, ne lui semblait plus un enfantillage ; son amour était dignifié par celui d’un autre ; en un mot, et ce mot est assez plaisant, la passion de M. de la Fresnaye rendait celle d’Étienne raisonnable, c’est-à-dire probable.

Madame de Meuilles traitait son cousin avec une déférence affectueuse qui le surprenait ; elle était avec lui comme on est avec une personne sur le compte de laquelle on vient de décou-