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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/17

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LETTRES PARISIENNES (1840).

qu’on n’y peut trouver de place. À peine peut-on traverser la foule et s’approcher du chœur. Pour se mettre à genoux on n’a point d’espace. Les enfants vous poussent, les loueuses de chaises vous dérangent à tout moment. Des femmes qui étouffent sont obligées de sortir, il faut leur faire un passage ; tout vient vous distraire et vous arracher au recueillement. Et cela doit être ainsi, car le nombre de nos églises, à Paris, n’est pas proportionné au chiffre de la population. Pour neuf cent mille âmes, trente-huit églises ne suffisent pas ; mais qui oserait élever un saint monument aujourd’hui ? Le ministère actuel, peut-être ? Oui, de pieuses fondations ne seraient pas suspectes de sa part. Aujourd’hui, M. Thiers est le seul homme qui puisse risquer une église.

Nous disons encore : On ne peut pas aimer… Pourquoi ? Nous l’avons déjà dit, parce qu’il n’y a plus de femmes.

On ne peut pas travailler, parce qu’on n’a pas un moment de repos dans toute la journée, parce qu’on lit douze journaux tous les matins, parce qu’on paye dix petites notes par heure, parce que l’on reçoit quatre billets par minute, parce qu’on a des parents qu’on révère, des amis qu’on aime, des indifférents qu’on adore et qu’on ne peut renvoyer : tous ces gens aimables ne viennent vous voir qu’un moment, ils n’ont qu’un mot à vous dire, mais comme ils sont une vingtaine, leurs moments réunis sont toute votre journée ; leurs mots divers forment une longue et charmante conversation qui vous arrache à toute occupation sérieuse. Écrire comme nous le faisons aujourd’hui, par exemple, interrompu à tout instant par les femmes les plus spirituelles et les hommes les plus distingués de Paris, ce n’est pas écrire. Heureusement, ceci n’est pas un travail.

Enfin, on ne peut plus penser, parce qu’on agit trop d’abord ; ensuite, parce qu’on peut tout dire.

Chose étrange ! c’est depuis qu’on peut tout dire, c’est depuis qu’on ose parler de tout, qu’il n’y a plus de conversation. Devinez ce que l’on fait maintenant dans nos salons, quand on ne danse pas, quand on ne chante pas ? On joue ; les jeunes femmes jouent au trente-et-quarante, au vingt-et-un, et cela les amuse !… Il y a un mystère dans cette mode nouvelle. Il nous faudra bien le découvrir.