surprendre notre imagination. Nous nous promenions dans le jardin avec d’aimables personnes, lorsque tout à coup nous aperçûmes, à travers un massif d’orangers, un énorme pâté qui venait à nous ; ce pâté, porté par deux hommes, était destiné au banquet que l’on avait dressé sous une vaste tente, à quelques pas de nous. Rien n’était plus naturel que cette rencontre ; cependant elle nous frappa. C’était la première fois que nous voyions un pâté errer dans un jardin. Cela nous rappelait l’histoire de Riquet à la houppe et de cette princesse trop belle, puisqu’elle n’était que cela, qui allait rêver dans une forêt où elle était poursuivie par des visions de marmitons enchantés.
On nous conduisit au bord d’un petit lac. Vous allez voir des cygnes, nous dit-on ; en effet, un cygne s’avança vers nous ; mais, ô surprise ! il était noir… Poëtes, qu’allez-vous devenir ? que ferez-vous de vos vieilles comparaisons, par tant de siècles consacrées ? Que penserais-tu, orgueilleuse Léda, si l’on te disait que Jupiter était peut-être un nègre ? Un cygne noir ?… Patience !…
On nous mena dans la basse-cour : elle est superbe, ombragée de hauts arbres, tapissée de gazon anglais. Là, parmi les paons, et non loin d’un oiseau royal de toute beauté, il y avait un dindon blanc : c’était une compensation. Poëtes, désormais vous pourrez dire « la blancheur du dindon, l’aile noire du cygne » ; c’est une manière de rajeunir vos images qui vous vaudra des succès. Il y avait bien longtemps qu’on disait « l’aile blanche du cygne» ; cela ne faisait plus d’effet ; l’heure de changer était venue.
Nous nous sommes assis quelques moments dans l’étable, sur d’élégants canapés. Voilà encore une chose étrange, des canapés dans une étable !… Et puis nous avons pris le chemin du chalet ; car là aussi il y avait un chalet, mais un véritable chalet suisse qu’on avait fait venir de l’Oberland, et qu’habitaient deux jeunes villageoises : elles portaient le charmant costume des filles des environs de Berne, le grand bonnet aux ailes de tulle noir, qui fait si bien valoir les cheveux blonds. Une personne qui était avec nous leur dit quelques mots en allemand. « Nous ne savons pas l’allemand, répondirent-elles