— Je n’aime pas beaucoup les femmes qui discutent pendant des heures sur une loi d’impôt ou sur une question électorale ; mais je pense qu’en politique les femmes intelligentes peuvent rendre de grands services, jouer souvent un rôle noble et généreux ; elles peuvent, par leur influence, concilier bien des intérêts hostiles, calmer les ressentiments implacables, ranimer les courages mourants, et, mondaines sœurs de la Charité, panser toutes les blessures d’amour-propre. Je comprends à merveille qu’une femme qui se trouve avoir parmi ses amis un homme d’État fort distingué s’intéresse vivement à la politique de cet homme d’État ; mais ce que je ne comprends pas, c’est un homme d’État qui s’intéresse à la politique d’une amie.
— Quelle subtilité !
— Oh ! cette différence n’est pas insignifiante ; et, je le répète, c’est une très-haute inconvenance pour un ministre français que d’afficher une Égérie étrangère.
— Allons, vous êtes intraitable ; parlons d’autre chose. Êtes-vous allé au spectacle ? Avez-vous vu Arnal depuis votre retour ?
— Pas encore ; mais ne devait-il pas entrer aux Variétés ?
— Non ; la loi l’a restitué à M. Ancelot.
— Et en quoi M. Ancelot a-t-il besoin d’Arnal ?
— Puisqu’il est directeur du Vaudeville.
— M. Ancelot le poëte ! l’académicien !… est directeur du Vaudeville ! ce n’est pas possible.
— Pourquoi donc ? il n’y a rien de mal à cela : vous êtes d’une pruderie…
— Comment ! vous trouvez convenable qu’un membre de l’Académie française se fasse débitant de lazzi, fermier de gaudrioles ; vous trouvez tout simple que l’on soit en même temps directeur de l’Académie et directeur du Vaudeville, et qu’en sortant d’une répétition où l’on a réprimandé Arnal, on s’en vienne à l’Institut recevoir le chancelier de France !
— Ce n’est pas le directeur du Vaudeville qui reçoit M. le chancelier, c’est le directeur de l’Académie.
— Ah ! voilà une subtilité !
— D’ailleurs, le Vaudeville est un théâtre national, et il ne peut que gagner à devenir plus littéraire, et déjà de fort jolies comédies….