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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/235

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LETTRES PARISIENNES (1844).

jours, gaiement spirituel. On raconte un bal très-joli donné par Ciceri. Lui était en invalide, coiffé du petit chapeau historique. Il y avait là de charmants costumes portés par de charmantes femmes. Mademoiselle Plessis a eu les honneurs de la soirée : elle était admirablement belle, déguisée en écaillère… oh ! mais une écaillère de Greuse, parlant le doux langage de Marivaux. Les invités venus sans déguisement n’ont pu être admis dans le bal qu’en s’improvisant malades à la porte ; on leur présentait un bonnet de coton et une robe de chambre ; il fallait choisir entre une retraite forcée ou une indisposition subite ; et, comme on voulait s’amuser, tout le monde voulait être malade : c’était une épidémie. Cette grande sévérité dans les admissions nous rappelle une plaisanterie du même genre qui a eu beaucoup de succès il y a quelques années. Un des célèbres peintres de Psyché venu au bal sans costume, avait été mis impitoyablement à la porte. D’abord il se désole ; puis une inspiration soudaine vient à son secours : il se précipite chez un épicier, achète une feuille de papier, se fait un immense bonnet d’âne, sur lequel il écrit ces mots : Puni pour ne pas s’avoir déguisé. Vous pensez bien que cette fois on le laissa entrer dans le bal et qu’il fut reçu à merveille.

Chez madame la comtesse Merlin, cinq personnes seulement avaient obtenu la permission de venir sans être costumées ; c’étaient des ambassadeurs, des hommes politiques. Il y avait donc beaucoup de dominos fort malins qui vous disaient de gracieuses folies : pour les hommes, les dominos bleu de ciel ; pour les femmes, les dominos roses, et quelques dominos noirs mystérieux. Madame Merlin avait un costume grec magnifique, cousu de pierreries ; madame la marquise de la Gr…, un costume persan d’une sévère exactitude, qu’elle portait avec sa grâce tout orientale. Madame la comtesse Somaïloff avait un habit de chasse du temps de Louis XIV ; son large chapeau de feutre, avait bien de la peine à dépasser en ampleur les énormes touffes de ses beaux cheveux. Deux jeunes Anglaises représentaient l’une le Jour, l’autre la Nuit ; l’Aurore brillante se trahissait sous de longs voiles blancs que ses rayons brodaient de paillettes d’or ; la Nuit, silencieuse et triste, cherchait en vain à éteindre sous ses crêpes noirs ses mille étoiles d’argent.