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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/238

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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Mais terminons notre récit :

À une heure du matin, une vire agitation se manifesta dans la fête… Mademoiselle Carlotta Grisi venait d’y paraître… On se rangea en cercle, on grimpa sur les fauteuils dorés, sans égard pour leur damas respectable, et il se fit un grand silence, comme toutes les fois que quelqu’un s’apprête à danser. Mademoiselle Grisi, semblable en cela à mademoiselle Rachel, est beaucoup plus jolie dans un salon qu’au théâtre. Elle a dansé la tarentelle d’une manière charmante et au bruit d’applaudissements frénétiques.

Pour finir agréablement la soirée, on a dansé la polka ; il faut vous dire que la danse à la mode, cet hiver, est la polka : c’est une sorte de danse nationale originaire de Bohême, où là même elle est prohibée ; c’est la danse des paysans. Ici tout le monde veut l’apprendre, et Cellarius ne peut suffire au nombre toujours croissant de ses élèves. On raconte au sujet de la polka une histoire assez plaisante. La duchesse de B… a un fils de dix-neuf ans. Ce jeune homme, parfaitement bien élevé, a désiré savoir danser la polka pour compléter son éducation ; on lui a conseillé de prendre pour maître le fameux Cellarius. Mais, dans la classe de ce professeur en l’art de Terpsichore, les prêtresses de cette Muse vont aussi former des pas gracieux ; c’est pourquoi ce digne professeur ne possède pas, comme ceux de l’Université, toute la confiance des familles. Madame de B… entrevit avec effroi les dangers que pouvait courir son jeune fils ; elle ne voulut point qu’il allât prendre des leçons de danse chez Cellarius, mais elle écrivit à Cellarius de venir chez elle avec tout ce qui était nécessaire pour la leçon. Le maître de danse arriva le lendemain, à l’heure indiquée. Il était suivi de deux fiacres contenant huit danseuses de l’Opéra. L’apparition fut terrible. Cependant madame de B… fit bonne contenance ; voyant que le danger était inévitable, elle se résigna aie surveiller. Elle s’établit, comme à l’ordinaire, au coin de son feu, et se mit à tricoter paisiblement. La leçon de polka fut donnée dans son salon, devant elle ; son fils valsait tantôt avec une grande blonde, tantôt avec une petite brune ; il passait et repassait sous les yeux de madame de B…, qui l’observait en silence ; et tout se termina d’une façon très-