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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/280

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LE VICOMTE DE LAUNAY.

— Mais, répond Clairval, ce sont des souvenirs de jeunesse, je ne suis pas venu au monde tout marié ; ce sont des fictions de poëte ; ne connaissons-nous pas de pauvres poëtes qui, n’ayant rien à mettre sous la dent, n’en décrivent pas moins de somptueux festins ?

— Allez, allez, ces pauvres poëtes avaient dîné en ville ! répond plaisamment madame de Clairval.

Toute cette querelle de ménage, à propos de romances, de soupirs, de désirs, de langueurs et d’ardeurs, et autres balivernes d’amour, a été jouée avec beaucoup de grâce et de gaieté, et a obtenu un grand succès.

La querelle est interrompue par une lettre d’excuse ; on l’ouvre en tremblant : madame Précourt est souffrante, elle ne pourra venir chanter ce soir ; « mais, dit-elle, vous aurez madame Chantard, dont le charmant talent sera plus que suffisant pour me faire oublier. » Un moment après survient une autre lettre : madame Chantard a la grippe, mais elle se fait d’autant moins de scrupule de manquer à ses engagements, qu’elle sera heureusement remplacée par madame Précourt, etc., etc. — Clairval se désole. — Vous deviez vous y attendre, lui dit sa femme ; je ne chante pas, moi, mais j’observe, et j’ai toujours vu que les voix de même nature avaient toujours de bonnes raisons pour s’éviter.

On comptait sur un chanteur plaisant, un monsieur qui imite Levassor ; un chanteur de plan, plan, plan ! de tu, tu, tu ! de zut, zut, zut ! mélodies fort à la mode aujourd’hui. Ce monsieur vient d’un air triste déclarer qu’il ne pourra chanter ce soir-là que de la musique grave, parce qu’il est en deuil. Une cantatrice vient avec son mari… « Que vas-tu chanter, Titine ? — Se m’abandoni. — Toujours la même chose, et pourquoi chantes-tu cet air-là ? — Parce qu’il est dans ma voix. — Mais, Titine, il y a trop longtemps qu’il est dans ta voix ! — Ah ! monsieur, à merveille, dites le mot, j’ennuie les gens !… » Elle sanglote et s’enfuit au désespoir. Enfin voilà un artiste de bonne humeur ; il ne demande qu’à se faire entendre, mais il lui faut son instrument ; où donc est-il son instrument ? L’a-t-on apporté ? — Non… c’est-à-dire oui : un commissionnaire auvergnat est venu apporter une