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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/295

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LETTRES PARISIENNES (1844).

Deux jeunes gens, coiffés de leurs casquettes de voyage, s’arrêtent devant un hôtel garni : « Deux chambres ? — Nous n’avons plus rien. » Ils font signe au commissionnaire qui porte leurs bagages de se diriger vers un autre hôtel. « Deux chambres ? — Ah ! messieurs, voilà huit jours que toutes nos chambres sont prises. » Les deux jeunes gens consultent le commissionnaire, qui les conduit à un troisième hôtel. « Une chambre et un cabinet ? — Tout est plein. » Le commissionnaire est de nouveau consulté… Il réfléchit un moment, puis il se remet en campagne, suivi des deux infortunés voyageurs, qui commencent à se quereller. « Si nous étions partis samedi, comme je le voulais, nous aurions trouvé de la place. — Bah ! nous allons en trouver ; tiens, dans cet hôtel-là, nous aurons tout ce qu’il nous faut ; demandons d’abord. — Une chambre. — Ah ! ben oui, une chambre ! dit le garçon de l’hôtel, v’là trois jours que j’ai donné la mienne à un monsieur de Strasbourg : je dors là-dessus (il montre une banquette) : c’est mon lit, et je vous l’offre de bon cœur. » Les deux jeunes gens jugent cette plaisanterie mauvaise ; ils jettent sur leur commissionnaire des regards courroucés. Ce courroux l’inspire ; il vient de se rappeler un petit hôtel, si mauvais, si mal famé, qu’il y a quelque espérance. Deux ifs poudreux dans deux vieilles caisses verdâtres ornent l’étroite entrée de cet hôtel ; le commissionnaire adresse lui-même la parole à un pauvre domestique pâle, exténué, immobile, qui semble prêt à expirer. « Une chambre pour ces messieurs ?… » Le domestique secoue la tête avec mélancolie ; cela veut dire : Nous n’avons rien. Le malheureux n’a plus la force de parler, la fatigue le rend muet ; l’aspect d’un provincial le fait tressaillir ; il est seul dans ce méchant hôtel, qui est le pis aller de tout le monde, où l’on ne vient jamais que malgré soi et disposé à gronder toujours ; seul, il supporte la mauvaise humeur de tous, et chaque nouvel arrivant lui apparaît comme un bourreau voyageur qui ne s’arrête un instant dans la capitale que pour le tourmenter. Il ne faudrait pas lui demander son opinion sur les mœurs des habitants de la province, il doit avoir des préventions. Les deux jeunes gens se découragent visiblement. « Quoi ! pas une chambre ? pas même dans cette