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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/303

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LETTRES PARISIENNES (1844).

mon cousin Tupinières, qui est toujours indisposé depuis qu’il est à Paris, fut pris de vertige, et nous dûmes redescendre tout à l’heure. — Oh ! je vous plains, c’est un vrai supplice que de visiter Paris ! — Que diriez-vous donc si je vous contais ce que nous fîmes vendredi, le lendemain !… — Vous êtes montés sur les tours de Notre-Dame ?… — Justement ! — Ah ! moi qui croyais plaisanter ! — Nous n’y montâmes pas tous ; mon cousin Tupinières refusa. — Il en avait assez, monsieur votre cousin ? — Tupinières ?… oui, c’est un garçon qui a la vue très-basse, et il dit que c’est inutile de monter si haut pour ne rien voir. — Il est plein de bon sens. — D’ailleurs les monuments ne l’intéressent guère ; il n’aime, lui, que les animaux : il passerait tout son temps au jardin des Plantes… À propos, vous qui connaissez tous les marchands renommés de Paris, ne pouvez-vous pas me dire où je pourrais me procurer ici des yeux d’oiseaux ?…

Un immense éclat de rire accueillit cette demande. Le jeune provincial resta stupéfait. « Qu’y a-t-il donc de si comique dans cette demande ? s’écria-t-il. — Ce n’est pas de faire cette question qui est plaisant, c’est de me l’adresser à moi. Je suis tout à fait incapable de vous répondre, vrai ; je ne sais pas du tout où l’on achète des yeux d’oiseaux ; je ne sais même pas ce que vous en voulez faire. — Eh ! c’est pour empailler, donc ! non pas moi, mais mon cousin Tupinières ; il empaille en perfection, je ne connais personne qui empaille comme lui. — Ni moi non plus. » Et voilà les rires de recommencer. « Mais qu’avez-vous donc à rire comme cela ? — Je ris de ce que vous dites : vous nous racontez que monsieur votre cousin aime beaucoup les animaux, et puis nous découvrons que c’est pour les empailler qu’il les aime. — Il les aime bien aussi vivants ; demandez aux gardiens du jardin des Plantes ; ils le connaissent déjà ; il m’y mena ce matin, et je vis là, ma foi, une belle bête ! Il l’appelle la panthère noire ; vous la vîtes déjà, sans doute ? — Non. — Eh mais ! vous ne voyez donc rien ? Permettez-moi de vous dire, monsieur du Courrier de Paris, que vous n’êtes pas du tout Parisien. — Je néglige les bêtes féroces. — Cette panthère est magnifique, elle fait peur, elle est grande comme un petit cheval, elle a des yeux jaunes qui brillent comme deux topazes dans sa face toute noire, c’est