Les hommes d’esprit savent tirer des clubs de grands avantages : ils y vont passer quelques heures, recueillir les nouvelles du jour, se mettre au courant ; et puis, ce bienheureux asile leur sert à tout cacher ; il leur tient une réponse toujours prête, un mensonge toujours attelé. — Où allez-vous ? — Au club. — D’où venez-vous ? — Du club. — Qu’est-ce que vous avez fait hier soir ? — Je suis resté au club. — Où dînerez-vous demain ? — Je dînerai au club… Ainsi, ces clubs dont on médit tant absorbent les ennuyeux, enchaînent les ennuyés et affranchissent les gens aimables !… Et vous vous plaignez des clubs, mesdames ! Allons, vous n’êtes pas de bonne foi. Nous ne nous en plaignons pas, ils ont pris au monde ce que le monde leur avait donné, et rien de plus.
Le destin de la conversation dépend de trois choses : de la qualité des causeurs, de l’harmonie des esprits et de l’arrangement matériel du salon. Par l’arrangement matériel, nous entendons le dérangement complet de tous les meubles. Une conversation amusante ne peut jamais naître dans un salon où les meubles sont rangés symétriquement. Comment donc faisaient nos pères pour avoir de l’esprit autour de cette ennuyeuse table de marbre couverte d’un respectable cabaret de porcelaine qui ornait seul le grand salon de nos mères ? — Nos pères, ils n’avaient pas d’esprit chez eux, dans les grands salons de leurs grands hôtels ; ils n’en avaient que dans les petits salons de leurs petites maisons, où ils allaient s’amuser, dire mille folies et casser des assiettes en haine de ces maudites porcelaines qu’il leur fallait tant respecter, et qui leur ôtaient tout leur esprit. Il y a encore des salons meublés à l’ancienne mode, et où l’on s’ennuie avec une très-grande dignité. L’ordre symétrique des sièges fait que les femmes y sont assises ensemble ; les hommes, n’osant déplacer les chaises collées au mur, restent debout et discutent entre eux ; ils ne font point partie de la société, car on discute debout, mais on ne cause qu’assis. On croirait que cette séparation vient de ce que ces hommes et ces femmes ne se connaissent pas ; de ce que les uns sont trop sérieux, les autres trop frivoles, ou bien de ce qu’ils n’ont rien à se dire… Pas du tout, cela vient de ce que les fauteuils et les chaises sont mal rangés, ou plutôt de ce qu’ils sont trop bien rangés.