LETTRE QUINZIÈME.
Oh ! comme on nous les a gâtés, détériorés, nos pauvres Parisiens !… Quel changement !… Regardez-les, écoutez-les, sont-ce bien là les gens qui nous ont quittés il y a trois mois ? Que leur est-il donc arrivé ? sous quel soleil ont-ils vécu ?… quelle atmosphère ont-ils respirée ? quel régime ont-ils suivi ? Pourquoi sont-ils si ennuyés, et pourquoi sont-ils tous malades ? Ah ! c’est que le bon air de la campagne ne vaut rien pour les Parisiens de pur sang, c’est que la bonne vie de château est très-mauvaise pour l’habitant des grandes villes. Bien vivre, ce n’est pas vivre ; pour le Parisien, faire de l’exercice, ce n’est pas marcher ; c’est chercher, c’est poursuivre une idée à travers mille idées, un objet parmi cent objets, c’est comprendre une chose vague, démêler une intrigue obscure, démasquer une vérité costumée, surprendre un secret, découvrir un projet, trouver le côté faible d’un concurrent qu’on redoute, dénicher la nouvelle adresse d’un débiteur qui se cache, partir à propos, arriver à temps, revenir à l’heure, et pour tout cela, faire vingt démarches, dix courses le matin, dix visites le soir, faire des combinaisons, des suppositions, des conjectures ; c’est agir enfin mais agir par la pensée et toujours avec la pensée. À Paris, toutes les actions ont un but d’affaires, même les plaisirs… Mais se promener pour se promener !… aller visiter un château pour avoir visité ce château, traîner dans un parc ou dans un jardin tout un jour, pour dîner le soir avec les mêmes convives avec qui l’on a déjeuné le matin ; n’avoir aucune affaire à décider, aucun ennui à éviter, aucun succès à combiner, ce n’est pas vivre !… car ce n’est point le mouvement, le tapage qui fait la vie ; c’est l’agitation. Une idée vivace qui fait circuler le sang avec rapidité est un exercice plus salutaire qu’une longue course sans projet, sans souci et sans espérance. L’homme inquiet qui a