éblouit vos yeux ; les sons rivaux de l’orchestre et des voix viennent lutter ensemble jusqu’à vos oreilles étourdies, et vous ne pouvez plus distinguer les notes d’avec les mots. À force de regarder, vous ne voyez plus rien ; à force d’écouter, vous n’entendez plus ; votre esprit se trouble, vos idées se perdent ; vous allez et venez sans savoir ce que vous faites ; vous ne répondez pas aux gens qui vous parlent, vous répondez à ceux qui ne vous parlent pas ; vous saluez très-gracieusement des inconnus, vous oubliez de reconnaître vos meilleurs amis ; bref, vous êtes stupide, et c’est fort heureux pour vous, car si vous conserviez toute votre intelligence au milieu de ces enivrants plaisirs, peut-être ne leur trouveriez-vous pas autant de charmes.
Récapitulons un peu nos souvenirs, et tâchons de découvrir quelques différences entre toutes ces fêtes qui se ressemblent si parfaitement. On rencontre à peu près toujours et partout les mêmes personnes ; mais ces mêmes personnes ne sont pas toujours et partout distribuées dans le même ordre, ni placées sous le même jour. Tel qui rayonne dans tel salon reste à l’ombre, dans tel autre ; tel qui se pavane en maître audacieux dans telle maison se glisse en prétendant timide dans la maison voisine et rivale. Le luxe des ornements d’un salon n’est pas non plus sans influence sur l’attitude des invités. Quand on se sent au beau milieu d’un cadre d’or, on pose malgré soi avec prétention ; il faut une bien grande force d’âme pour rester bon enfant dans un séjour merveilleux où tout vous excite à la majesté. Dans ces superbes demeures, on regarde, on observe, on parle bas, on semble toujours attendre que la fête commence. On agit tout autrement dans les habitations dont le luxe est plus modéré ou plus ancien : là on n’a rien à regarder, on se met à l’œuvre tout de suite, c’est-à-dire à bavarder follement, et tout le monde crie et gesticule à la fois ; c’est une agitation délirante ; cela ressemble à une récréation de collège, à un marché napolitain, à une émeute parisienne, à une séance parlementaire, à tout ce qu’il y a de plus fiévreux, de plus bruyant, de plus turbulent. On peut donc diviser les salons d’aujourd’hui en deux catégories : ceux où l’on pose solennellement, et ceux où l’on cause violemment. Ces deux espèces