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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/396

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LE VICOMTE DE LAUNAY.

leur mission au point de préférer partout l’astuce à la franchise, la finasserie à la force, le factice au naturel, le calcul adroit au dévouement généreux, la prudence au courage, l’habileté au génie, et puisque nous sommes en train de parler animaux, ajoutons le chacal au lion, le serpent à l’aigle. Qui donc maintenant osera se montrer noblement fier, généreusement brave, poétiquement délicat, héroïquement dévoué, si la délicatesse, la générosité, la bravoure, ne sont plus les vertus qui plaisent aux femmes ? Et que deviendront elles-mêmes ces vertus sublimes, si les femmes, pour qui elles ont été imaginées, les proscrivant avec dédain, s’écrient : C’est une mode passée, nous n’en voulons plus ! Leur nom même bientôt se perdra ; déjà on les débaptise, déjà dans toute la France constitutionnelle un désintéressement sans arrière-pensée s’appelle duperie ; déjà chez les parvenus satisfaits, le dévouement aux intérêts du peuple s’appelle utopie séditieuse ; depuis longtemps, vous le savez, chez les industriels ministériels, la fierté patriotique se nomme préjugé national ; les phalanstériens appellent le courage guerrier une sanglante absurdité ; Scribe appelle l’amour une erreur du jeune âge ; beaucoup de gens nomment la délicatesse fausse honte ; la dignité, ridicule orgueil ; tout le monde s’accorde pour nommer l’enthousiasme… folie !

Par un travail contraire, ou plutôt par une conséquence naturelle, les plus vilaines choses ont pris des noms charmants. Le succès purifie tout ; la nécessité excuse les actions les plus laides. Les mœurs constitutionnelles ont cela d’aimable, qu’elles amènent dans le pays une corruption naïve et insensible dont personne ne pense à s’indigner. On agit avec une telle précipitation dans les luttes parlementaires, qu’on n’a pas le temps de choisir ses moyens. Un candidat, au jour des élections, par exemple, n’a pas un moment à perdre en vaine pruderie ; il lui faut tout de suite un obstacle à opposer à son rival… On lui offre une calomnie, il la prend à la hâte et sans songer à mal ; cette calomnie n’est plus à ses yeux une calomnie, c’est une ruse de guerre, et voilà tout. S’il triomphe, il permettra à la vérité de se faire jour ; une fois arrivé à son but, il renverra cette calomnie à son véritable propriétaire, comme un véhicule qu’il a pris à l’heure et dont il n’a plus besoin.