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Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/474

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LE VICOMTE DE LAUNAY.

ministres demeurent modestement chez eux comme font les ministres anglais, qu’ils aillent à pied à leur bureau, un parapluie sous le bras, comme font les ministres anglais ; s’ils sont en retard, qu’ils prennent un fiacre, comme tout le monde ; qu’ils soient enfin comme les autres hommes ; seulement qu’ils travaillent quelques heures de plus : alors, qu’ils se rassurent, ils n’auront pas grand’peine à garder leur position élevée, ils trouveront peu de rivaux. Il y a un moyen bien certain de défendre sa place, c’est d’en supprimer toutes les vanités qui font que les sots vous l’envient.

Le jour où l’on pourrait dire : « Qu’est-ce qu’un ministre ? — C’est un ouvrier qui travaille six heures de plus que tous les autres, » il y aurait en France bien peu d’amateurs pour cet état privilégié, dont le travail serait si largement organisé. Sous une royauté, le pouvoir est presque inaccessible ; il peut, sans trop de danger, être environné de séductions ; mais sous une république, c’est autre chose ; une émeute peut le donner à qui le rêve : il faut donc le rendre austère, ennuyeux, pénible, indésirable enfin, pour en dégoûter les rêveurs ambitieux ; la route n’est plus escarpée ; hérissez d’épines le but, et compensez la facilité, la douceur de la pente, par l’aridité du sommet.

— Eh ! direz-vous, qui fera fleurir le commerce, qui donnera l’exemple du luxe ? — Les particuliers : à eux sont permises toutes les fantaisies ; ils ont le droit d’être capricieux, de s’amuser à tous les enfantillages de l’orgueil, de rajeunir les anciens usages des anciens temps ; mais les ministres d’une république n’ont pas ce droit, ils doivent représenter leur époque avant tout ; les anachronismes ne leur sont point permis. Plus ils seront modestes et raisonnables au contraire, plus les autres hommes seront disposés à se montrer élégants et fastueux. Rien ne porte plus un pays à la gaieté que l’air sérieux des gens qui le gouvernent. Quand les hommes d’affaires sont graves, les hommes de plaisir sont bien vite joyeux. Savez-vous pourquoi la société française était si gaie autrefois ? C’est que les notaires étaient tristes.

Savez-vous depuis quand les gens du monde léger sont devenus si lourds, si ennuyeux, si maussades ? C’est depuis